Dans le prologue de la Condition de l'homme moderne, Hannah Arendt présente l'avènement de l'automatisation comme un évènement menaçant. Or, on a tendance à se laisser tromper et à y voir l'accomplissement du rêve de la libération de l'humanité du travail, ce qui était au fond le privilège antique des maîtres d'esclaves. Arendt se penche alors sur la pensé grec du travail et l'utilise comme un prisme au travers duquel elle critique la condition de l'homme moderne. Au fond, Arendt va contre l'optimisme qui voit l'automatisation comme le moyen de la skolé grec pour tous, de l'affranchissement de l'humanité du travail. Ainsi, selon elle, la société moderne s'accompagne d'une glorification du travail et cela mène au fait que c'est « une société de travailleurs que l'on va libérer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. On ne peut rien imaginer de pire. »
Pour mieux comprendre cette position ambigüe, pouvant être vue à la fois comme une pertinente critique de la modernité ou comme une nostalgie toute conservatrice d'un monde antique disparu, il faut décortiquer le cheminement des thèses de Hannah Arendt dans la Condition de l'homme moderne. Celle-ci fonde sa pensée sur la division entre vita activa et vita contemplativa, la seconde permettant pour les philosophes de s'élever au-dessus de la condition humaine. Ainsi elle peut être rattachée à la theôria chez Platon, une activité qui se place dans l'absence de parole et qui permet de « cesser d'être parmi les hommes ». Le renversement de Arendt se place alors dans la mise en avant de la valeur philosophique de la vita activa. Hannah Arendt propose de penser ce que nous faisons et non ce que nous sommes ou pensons, elle effectue ainsi un renversement de la hiérarchie traditionnelle qui plaçait au-dessus de tout, la contemplation. La Condition de l'homme moderne est donc consacrée à la vita activa car c'est par l'examen des activités humaines qu'elle pense percevoir cette condition humaine.
Arendt renouvèle alors le terme de vita activa qui pour Aristote, est seulement rattaché à l'activité de l'animal politique, ce qu'elle nomme elle l'action. Elle s'appuie alors sur la distinction grecque entre la sphère privée (oïka) et la sphère publique (polis). En effet, à l'activité liée au domaine public au sens strict, l'action, elle ajoute les activités appartenant plutôt au domaine privé, le travail et l'œuvre. Ainsi, trois chapitres sont consacrés à ces activités : le travail, l'œuvre et l'action. Dans ce déroulement, l'auteur adopte à la fois une approche systématique, articulant ainsi les activités de la vita activa afin de mettre en avant sa vision de la condition humaine, et une approche historique afin de voir ce que devient cette condition humaine à l'époque moderne et comment on peut comprendre en un sens, sa déviation. Au fond, ces notions de travail, œuvre et action nous ramènent à travers le prisme de la tradition philosophique antique à des expériences fondamentales de l'homme, qui fondent sa condition propre. Parmi ces chapitres nous allons nous intéresser à ceux portant sur le travail et l'œuvre. Cette distinction selon Arendt « n'est pas habituelle », mais elle est fondamentale. Elle est ainsi inscrite dans au moins toutes les langues européennes. Sont ici opposés par exemple, ponos et ergon en grec ou encore, labour et work en anglais.
Nous étudierons cela en trois sections. La première établira clairement la distinction entre « le travail de notre corps » et « l'œuvre de nos mains ». La seconde portera quant à elle, sur le processus de glissement de sens de la notion de travail qui prend la place d'œuvre, et sur l'horizon d'une société de consommateurs. Nous nous intéresserons dans la troisième à l'œuvre en tant que mode de fabrication du monde. Enfin nous finirons en nous penchant sur la mise en danger du monde par l'utilitarisme sans borne de l'homo faber.
[...] Ce n'est pas un véritable espace public au sens strict, politique. Ainsi, Arendt dénonce notamment ainsi, une sorte d'« impérialisme de l'œuvre et du travail sur l'existence humaine au détriment de l'action, seule véritable activité publique. Cependant, une lueur d'espoir réside dans le fait que face à cet horizon de la disparition de la stabilité du monde humain s'oppose la survie de l'œuvre d'art qui fait partie des objets donnant à l'artifice humain sa plus grande stabilité. Ainsi, l'œuvre d'art, est chez Kant le seul objet dont on peut se servir véritablement, c'est-à-dire pour lui- même, avec désintéressement. [...]
[...] Cette distinction selon Arendt n'est pas habituelle mais elle est fondamentale. Elle est ainsi inscrite dans au moins toutes les langues européennes. Sont ici opposés par exemple, ponos et ergon en grec ou encore, labour et work en anglais. Nous étudierons cela en trois sections. La première établira clairement la distinction entre le travail de notre corps et l'œuvre de nos mains La seconde portera quant à elle, sur le processus de glissement de sens de la notion de travail qui prend la place d'œuvre, et sur l'horizon d'une société de consommateurs. [...]
[...] Le monde est ce qui se tient entre les hommes et les lie entre eux, il trouve selon Arendt son existence dans la durabilité des objets qui le composent. La fabrication est au fond, une réification. Les caractéristiques et la solidité de l'objet viennent du matériau ouvragé. Or, le matériau lui- même est déjà produit des mains, tiré de la nature. Cette violation c'est la violence que la fabrication inflige à la nature. Ainsi, L'homo faber est destructeur de la nature, à l'opposé de l'animal laborans qui la sert. [...]
[...] La division pour les travailleurs, c'est le fait de mettre en commun les forces de travail et de se conduire l'un envers l'autre comme s'ils étaient un selon l'expression de Viktor Von Weizsäcker rapportée par Arendt. Cela est bien dans la continuité de la naturalité de l'activité laborieuse dans le sens où il faut le lier à l'idée de l'unité de l'espèce et au fait que les travailleurs apparaissent comme étant interchangeables. La différence avec la spécialisation, dans laquelle chaque ouvrier a une place précise, est alors évidente. [...]
[...] Cependant, elle prend ce problème d'un point de vue national et remarque que le moyen de sa résolution est que, tout bien d'usage est désormais traité comme un bien de consommation. C'est en ce sens que la révolution industrielle a remplacé l'artisanat par le travail. Les objets du monde deviennent des produits du travail et ainsi des biens de consommation. La seule tâche qui reste alors à l'artisan est la mise en place de modèles de produits qui sont ensuite fabriqués en masse. Nous voyons clairement ici comment l'argumentaire de Arendt peut apparaître comme réactionnaire à certains, cependant elle ne prône jamais un retour à l'artisanat d'antan. [...]
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