Comme tous les auteurs en relations internationales, Samuel Huntington tente de représenter le monde tel qu'il est pour voir où il va. Or, rares ont été les ouvrages de cette discipline ayant suscité autant de polémiques que Le choc des civilisations, dans lequel il propose une lecture culturelle de la scène internationale et de son évolution. Il s'appuie sur une carte du monde divisée en huit grandes aires « civilisationnelles », à partir de laquelle il construit son raisonnement: pour lui, le monde va vers un choc de ces civilisations.
Cette notion de carte est fondamentale: la théorie de Huntington n'est pas fondée en langage, mais en image. Quelle est donc cette carte, et surtout qu'apporte-t-elle pour penser le monde et la culture?
Après avoir examiné la carte proposée par Huntington (I), nous verrons que celle-ci répond à une visée prescriptive, politique sur la scène internationale (II), et, ne se donnant pas pour but de comprendre la culture, elle nous permet de nous rendre compte que la culture ne se pense pas en schéma (III).
[...] La question qui se pose est alors : y a-t-il un choc culturel entre les différentes aires civilisationnelles ? Depuis les attentats du 11 Septembre 2001, le monde a-t-il basculé dans une nouvelle ère de confrontation entre l'Occident et le monde arabo-musulman ? Eu égard aux actions de l'administration Bush d'un côté, et aux attentats qui ont secoué Londres et Madrid, on peut être tenté de répondre qu'oui. Cependant, ce qui a changé avec le 11 Septembre, c'est uniquement l'ampleur des actions des puissances occidentales et des groupes terroristes, mais la configuration n'est pas nouvelle. [...]
[...] C'est un texte de relations internationales, qui défend une thèse culturelle. Mais le considérer comme une théorie culturelle ne semble pas sérieux. Quant au principe de carte, son seul avantage est de nous montrer qu'il est difficilement concevable de penser la culture autrement qu'en langage. L'image n'est que politique. [...]
[...] La réalité est complexe, et quand il s'agit du concept de culture, elle mérite plus qu'une simplification schématique. Cette carte ne nous permet pas, et c'est sa principale limite, de penser un lieu possible de dialogue interculturel, elle réfute par essence la possibilité même de ce lieu interculturel. On voit donc peut-être pourquoi Huntington a choisi le modèle de la carte géographique : il oriente avec elle le mode de réflexion du lecteur, et si celui-ci ne voit pas la possibilité de penser ce lieu interculturel, il ne lui reste qu'à penser la culture comme un objet singulier et particulier, comme un objet à protéger pour exister. [...]
[...] Il n'en reste pas moins que la carte en perd de sa crédibilité. D'autant que la culture y est représentée de manière homogène, correspondant à des ensembles distincts qui ne se pénètrent pas. Quid des 25 millions de musulmans qui vivent en Europe. À quelle aire appartiennent- ils ? Occidentale, sur le seul critère physique, ou islamique, sur le critère religieux ? Et comment penser le compromis que font ces musulmans d'Europe entre leur vie civile européanisée et leur foi ? [...]
[...] Cette carte géographique, qui donne une image cloisonnée de la culture, constitue à elle seule la fin et le principe, le fait et la loi des relations internationales. Elle présente, hors du langage, une image culturelle du monde. Après le sage, c'est le politologue qui affirme qu'une image vaut mille mots . Sauf qu'ici, outre la visée pédagogique, l'image a une visée prescriptive. Un but prescriptif La carte de Huntington rassemble à elle seule le paradigme qu'il met en avant, et qui n'est pas un paradigme culturel. [...]
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