Boris Hauray a soutenu à Sciences Po en 2003 sa thèse intitulée L'Europe du médicament. Expertise, politique et intérêts privés dans la formation et le fonctionnement d'une évaluation européenne des médicaments, publiée dans le présent ouvrage, Paris, Presses de Sciences Po, 2006. Après sa thèse, il a été post-doctorant au CERAPS/Université de Lille 2-CNRS (Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales). Ses travaux portent sur la formation d'un espace politique européen et les politiques du vivant.
Les médicaments ont pris une place considérable dans notre quotidien: lorsqu'un mal de tête nous ronge, nous nous dirigeons instinctivement vers la boîte à pharmacie pour soulager la douleur. Pourtant, peu de consommateurs s'interrogent sur l'origine ou les effets secondaires des médicaments. À la fois biens économiques et de santé, ils forment l'un des produits les plus régulés au niveau européen, en subissant un contrôle permanent et ciblé par une autorité publique sur des activités qui sont dotées d'une valeur pour la société. Dans cet ouvrage, Boris Hauray entend analyser d'un point de vue sociologique et historique le fonctionnement de l'Europe du médicament et mettre en évidence le processus de régulation sanitaire du médicament. Quatre phases se distinguent dans l'emprise croissante de l'Europe sur l'évaluation des médicaments: un espace national dans lequel il n'y a aucune forme de coordination des décisions nationales en matière d'autorisations de mise sur le marché (AMM) (1965-1975); l'émergence d'un niveau européen avec la création d'un Comité des spécialités pharmaceutiques et une forte interdépendance entre Etats (1976-1985); l'unification des décisions avec la création de la procédure de concertation (1986-1995) ; et l'affirmation d'un espace intégré illustrée par les procédures centralisée (qui remplace la procédure de concertation) et décentralisée (de reconnaissance mutuelle) (dès 1995). La régulation des médicaments fait office de terrain privilégié pour comprendre le fonctionnement d'un espace politique européen qui va permettre de réduire les écarts de pratiques et de normes entre les Etats. C'est parce que l'Europe est devenue un cadre normatif stratégique aux yeux des acteurs qu'elle s'impose comme l'aire pertinente pour examiner les questions liées aux médicaments. L'auteur dégage ainsi trois mécanismes déterminants dans l'émergence de l'Europe du médicament: la coopération entre experts, la concurrence entre autorités nationales et le pilotage de l'institutionnalisation de l'Europe.
[...] L'étude de Boris Hauray se distingue d'autres travaux sur l'européanisation des politiques publiques en soutenant l'idée que la formation d'un espace politique européen ne se mesure pas uniquement par les liens entre modèles européens et pratiques nationales, mais doit être appréhendée en tant que transformation des acteurs impliqués. L'identité pratique des acteurs, c'est-à-dire la représentation qu'ils ont de leurs intérêts et de leurs missions, évolue. Le terme de réseau européen d'autorités nationales est dès lors pertinent pour illustrer cette tendance. Néanmoins, cette dynamique d'institutionnalisation ne doit pas être considérée comme un processus mécanique et figé. [...]
[...] Il y a donc une attitude ambiguë des industriels face à l'intégration européenne : la négociation de la réforme de 1993 a mis en évidence la diversité des préférences des industriels quant aux dispositifs européens et leurs difficultés à représenter une force collective de proposition. Par ailleurs, la mise en marche réussie d'une Agence européenne des médicaments (EMEA) en 1995 n'est pas simplement le résultat d'une plus forte interdépendance entre Etats. Depuis les années 1960, des individus ont essayé d'orienter le système européen vers la création d'une structure centralisée. [...]
[...] Les autorités sanitaires sont peu aptes à contrer ces pratiques industrielles du me too. Par ailleurs, les agences sont engagées dans une relation de service avec les firmes qui sollicitent un enregistrement : la volonté d'apparaître performantes aux yeux des laboratoires présente donc des dérives clientélistes, notamment de la part de l'EMEA. L'accusation principale qui lui est faite porte sur son mode de financement : l'EMEA dépend à des redevances industrielles payées à travers les procédures centralisées et les avis scientifiques. [...]
[...] La concurrence entre Etats a eu un rôle majeur dans la mise en place dès l'après-guerre d'administrations sanitaires spécialisées dans l'évaluation des médicaments. Les pays devaient être suffisamment compétents pour faire valoir la qualité de leur évaluation et contrôler celle des autres autorités afin de protéger leur industrie. Les Etats se sont donc dotés d'administrations spécialisées permettant de disposer d'une expertise scientifique de qualité dans un contexte de concurrence européenne croissante. Au milieu des années 1980, l'évaluation des médicaments connaît une nouvelle évolution en Europe avec le blocage de l'activité d'évaluation dû au manque de ressources des autorités d'enregistrement, au fort effet d'entraînement des initiatives communautaires et au SIDA qui ébranle les pays développés. [...]
[...] Elle rend compte d'un ensemble de changements qui ont permis l'émergence d'une Europe du médicament et de ses mécanismes. La force de l'argumentation de l'auteur réside dans sa capacité à mettre en évidence les relations entre les différents acteurs de l'Europe du médicament : experts, politiques, industriels, agences L'étude est construite et claire, même si certains passages peuvent paraître techniques et dispensables. Les perspectives théoriques, le souci de démonstration à base de cas concrets et la mobilisation d'entretiens font de l'Europe du médicament une contribution importante et originale à une réalité jusque-là peu explorée. [...]
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