La vie et l'œuvre de Raymond Aron étant intimement mêlées à l'histoire du XXème siècle, ses Mémoires en constituent un témoignage profond. Cet ouvrage a le mérite d'analyser à la fois l'évolution des faits, comme la montée du nazisme en Allemagne, la guerre froide ou la décolonisation, et celle des idées: le marxisme, l'existentialisme, le libéralisme. C'est aussi bien le récit d'un spectateur attentif que d'un protagoniste prudent de son époque : l'engagement de l'auteur dès 1940 dans la Résistance, son soutien au RPF au début de la Quatrième République, ses réticences affichées au moment de la révolution de mai 1968 autant que ses virulents éditoriaux le prouvent
[...] Sélective, la mémoire l'est également car chaque individu opère un tri dans ce qu'il retient, ce qui rend la mémoire égocentrique, organisée autour du Moi. La mémoire est également biaisée dans la mesure où elle est déterminée par un filtre conceptuel et affectif façonné par l'environnement social. Evènementielle, qualitative, sélective, appréciatrice, égocentrique, toute mémoire humaine est partielle et partiale en conclut Pomian Krzystzof. Ainsi serait celle de Raymond Aron, ce qui semble d'autant plus réduire l'intérêt de son ouvrage que l'histoire procède d'une démarche opposée. [...]
[...] Cependant, il faut souligner son importance psychologique, dans la mesure où elle a quelque peu restaurée la confiance de la France, vivement touchée par la seconde guerre mondiale, l'Indochine et l'Algérie. Dans son chapitre Le chemin de la catastrophe, Raymond Aron décrit comment il a vécu ce que les manuels appellent maladroitement la marche à la guerre Le jugement qu'il donne avec le recul de cette période controversée mérite d'être discuté. Dans l'ensemble, il condamne la diplomatie de la France et de la Grande-Bretagne en insistant sur l'erreur du 7 mars 1936. [...]
[...] Aron sait sa mémoire faillible, et surtout, il sait à quel point la mémoire peut être trompeuse. Ecoutons-le à ce sujet : Quelle part cette reconstruction emprunte-t-elle aux souvenirs, quelle part à l'idée que je me fais de mon passé ou que je plaque sur lui ? Il explicite sa pensée un peu plus loin : Je ne me dissimule pas les pièges dans lesquels je puis tomber. Des images de Sartre risquent de se superposer, l'étudiant, le professeur, après les années d'étude et avant le succès ( ) Ainsi, les Mémoires procèdent de la réflexion historique plus que de l'auto-justification. [...]
[...] Ainsi, Jean-Louis Crémieux, auteur d'une préface des Mémoires du général de Gaulle, pour expliquer leur immense succès, écrit qu'elles sont exceptionnelles par la singularité de l'homme et l'ampleur de son rôle Aron, intellectuel certes engagé mais jamais détenteur de responsabilités politiques, ne semble pas l'avoir marqué autant. Face à cette objection, il convient tout d'abord d'apporter quelques nuances. La pensée de Raymond Aron, pleinement libérale et pleinement politique, a joué un rôle important sur le plan politique et historique. Ses essais et ses articles de presse, principal contrepoids à la pensée socialiste et marxiste, contribuèrent à la résistance de la société française à la pression soviétique, puis à la conversion des intellectuels à l'anti-totalitarisme. [...]
[...] Dans cette optique, les ouvrages les plus récents remettent en cause l'affirmation selon laquelle Munich a été une victoire totale d'Hitler. Ainsi, Yan Kershaw, dans sa monumentale biographie d'Hitler, démontre que le Führer a été frustré par les accords de Munich parce que ces derniers le privaient du conflit localisé qu'il était impatient de déclencher contre la Tchécoslovaquie. Je conclurai en reprenant le parallèle que dresse Alain Boyer entre Thucydide et Raymond Aron : il cite en effet une louange adressée à l'historien grec pour l'appliquer à l'intellectuel français : Maître sans illusion, pour qui rien ne passe l'amère satisfaction de comprendre, trop clairvoyant pour être un professeur d'énergie, n'évitant pas toujours une pointe de défaitisme, ignorant absolument les ivresses d'une activité non raisonnée et non mesurée, il est incomparable dans le domaine de l'analyse lucide, qu'il s'est réservé Bibliographie Sur Raymond Aron, l'homme, la vie et l'œuvre, on pourra compléter les Mémoires par : Baverez, Nicolas, Raymond Aron : un moraliste au temps des idéologies, Paris : Flammarion Première partie : des Mémoires qui s'inscrivent dans l'Histoire Pour une synthèse des rapports entre histoire et mémoire, on se reportera en priorité : A l'article de Krzysztof Pomian, Partie de la mémoire, objet d'histoire in Revue de métaphysique et de morale, janvier 1998 A l'introduction de l'œuvre de Pierre Nora, Les lieux de mémoire La République, Paris : Gallimard Au sujet de critiques de Mémoires d'hommes célèbres, on pourra lire pour de Gaulle, celle de Jean-Louis Crémieux, auteur d'une introduction des Mémoires, dans la collection de la Pléiade : Gaulle, Charles de, Mémoires, Paris : Gallimard pour Mme Thatcher, voir l'article de Charles Hargrove, Margaret Thatcher et ses mémoires in Revue des deux mondes, janvier 1994 Pour mieux comprendre la philosophie de l'histoire de Raymond Aron, lire l'article de : Alain Boyer, dans Raymond Aron, la philosophie de l'histoire et les sciences sociales : colloque organisé à l'Ecole normale supérieure en 1988 / Alain Boyer, Georges Canguilhem, François Furet, Paris : Ed. [...]
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