Necati Cumali (1921-2000) était un poète, dramaturge et romancier Turc. Il a écrit divers ouvrages portant sur l'histoire des Balkans durant la période où cette région était partie intégrante de l'Empire Ottoman. Ses ouvrages ont connu un succès important et certains d'entre eux ont été adaptés pour le cinéma (L'Eté Aride a obtenu l'Ours d'Or au festival de Berlin de 1964) et la télévision (Le Dernier Seigneur des Balkans a fait l'objet d'une série de quatre épisodes diffusée sur Arte en 2005).
L'ouvrage que nous allons étudier est un roman historique qui raconte la vie du dernier descendant de la famille des Beys de Goriçka, en Macédoine, installée dans la localité depuis quatre siècles. L'histoire se déroule, pour l'essentiel, au début du 20e siècle. A travers la vie de Zülfikar Bey, le lecteur assiste à l'effondrement progressif de l'Empire Ottoman dans les Balkans, à la mise en œuvre des différents projets nationaux des Etats-Nations de la Péninsule et à la montée des tensions interethniques. Cette période est essentielle pour l'histoire des Balkans, et de l'Empire Ottoman plus généralement. En effet, des évènements majeurs ont eu lieu au cours de celle-ci: la Révolution Jeune-Turque de 1908, les Guerres Balkaniques de 1912-1913, et la Première Guerre Mondiale. A la lecture de cet ouvrage, nous assistons donc à l'agonie de « l'Homme malade de l'Europe », à travers la vie et le regard d'un jeune héros qui fait tout son possible, en vain, pour contrer le mouvement de dislocation de l'Empire Ottoman et de la Macédoine, sous la force des aspirations nationales et du nationalisme.
Dans cette fiche de lecture, nous analyserons l'évolution des processus d'identification individuelle et collective, les trajectoires stato-nationales, les vécus des frontières ainsi que l'effondrement de l'Empire Ottoman dans les Balkans, en suivant une démarche chronologique car ces dimensions évoluent au cours de la période couverte par ce roman.
[...] Le sentiment de l'imminence de la guerre pousse les jeunes Turcs de la région à jouir au maximum de l'instant présent. Cependant, la guerre hante les esprits des populations de Macédoine. Le comportement de Zülfikar illustre parfaitement le comportement des jeunes Turcs de la région. Tout en profitant au maximum des joies et des plaisirs de sa jeunesse, il devient mélancolique et préoccupé, loin de l'insouciance de son enfance. Des idées noires l'envahissent et il ne supporte plus de rester dans son village natal, à l'écart des discussions politiques entre jeunes Ottomans qui ont lieu à Monastir et à Salonique. [...]
[...] Cependant, peut-on être, à la fois, un nationaliste prêt à s'enflammer à tout moment adhérant aux principes Jeunes-Turcs, et un défenseur de l'intérêt général de toutes les composantes du peuple macédonien ? Dans le roman, l'auteur répond positivement à cette question mais peut-on vraiment considérer que ce point de vue ait été vraiment partagé par tous à l'époque, dans la réalité ? Le doute s'impose, car tous ne souhaitaient pas le maintien de la domination Ottomane dans les Balkans, bien qu'elle n'ait pas été, à la fin, un joug tyrannique. [...]
[...] L'auteur estime que la valeur d'un individu dépend des actions qu'il a réalisées durant sa vie. Ainsi, le héros de l'ouvrage sert d'exemple, d'où une glorification du personnage, de ce dernier seigneur des Balkans Cet homme, presque surhumain, ne trouve un sens à sa vie que lorsqu'il combat parmi les troupes Ottomanes pour maintenir l'autorité de la Grande Porte sur la Macédoine, ou lorsqu'il assure sa mission d'espion en sa faveur. Ainsi, d'un côté, l'auteur dénonce la guerre résultant de la mise en application des divers projets nationaux, comme étant vide de sens et comme ayant des effets dramatiques. [...]
[...] En effet, n'y aura-t-il plus de grands Hommes dans les Balkans après le départ des Turcs ? Cette interprétation peut être renforcée par la dramaturgie qui suit la mort du dernier héros capable de rassembler toutes les communautés autour de lui. Grecs, Bulgares et Albanais de Macédoine ressentent la même douleur que sa famille. La dramaturgie est totale : même son chien et son cheval pleurent ! A quelques jours près, il aurait été amnistié, ce qui renforce le caractère dramatique et injuste de sa mort. [...]
[...] Zülfikar ne serait plus alors considéré comme un héros bienveillant mais comme le dernier représentant d'une domination imposée par la force plusieurs siècles auparavant. En tout cas, si l'on veut porter un regard objectif sur cette période de l'histoire des Balkans, nous pouvons dire qu'en Macédoine, et dans les Balkans en général, le brassage des populations d'ethnies, de langues et de religions différentes, ne pouvait être compatible avec la mise en œuvre des projets nationaux qu'au prix de terribles conflits et d'une montée des tensions interethniques, que ce soit au début du 20e siècle ou à la fin de celui-ci. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture