Tocqueville part d'un principe, qu'il admet : c'est celui qu'il existe un mouvement dans l'histoire, qui consiste en l'égalisation des hommes et des sociétés. Il ne parle pas ainsi précisément des révolutions démocratiques (cf. 1688 en Angleterre, 1774 en Amérique, 1789 puis 1848 en France) mais d'un mouvement moins brusque, qui s'affirme dans la continuité de l'histoire. « Il faut prendre garde de confondre le fait même de l'égalité avec la révolution qui achève de l'introduire dans l'état social et dans les lois. » (IV, 5). Ainsi, il peut affirmer sans contradiction que « La première et la plus vive passion que l'égalité des conditions fait naître, […] c'est l'amour de cette égalité » (II, 1), alors qu'on aurait tendance à croire que c'est le processus inverse qui se produit, à savoir que c'est le désir de l'égalité qui permet de la réaliser sur le plan politique.
Partant de cette observation, l'objectif de l'auteur est de mesurer l'impact de « l'état social démocratique » et des « institutions démocratiques » sur les idées, les sentiments, les mœurs et les gouvernements qu'on trouve en démocratie ; il veut comprendre ce que produit « le mouvement d'égalisation des conditions des hommes », l'abolition des classes et castes etc.
Il est ainsi conduit à opposer, sur tous les sujets qu'il aborde, les temps démocratiques (T.D.) et les temps aristocratiques (T.A.) (nous avons tout au long de cette fiche noté « D » pour « démocratie » et « A » pour « aristocratie »), mais cette opposition ne doit pas se comprendre sur le plan strictement politique, elle se base surtout sur l'état d'esprit ambiant aux époques concernées. Elle cache donc en fait deux situations historiques dont les limites historiques sont très floues, et qui ne s'opposent pas frontalement, mais qui sont plutôt comme deux pôles, l'alpha et l'oméga de l'humanité. Ainsi, les affirmations de l'auteur (cf. le tableau récapitulatif, en dernière page) semblent plus acceptables.
Cependant, on doit tout de même, au moins sur certains sujets, parler de schématisme de la part de Tocqueville, d'autant plus que l'ampleur colossale du propos (il tente d'examiner tous les domaines de la vie) le conduit à être souvent très approximatif (cf. sa définition de la poésie comme « recherche de l'idéal »). Il pense souvent en aristocrate, et ainsi impute à la démocratie des « périls » dont on voit bien aujourd'hui qu'ils lui sont indépendants : par exemple, il affirme (III, 15) que les peuples démocratiques ont tendance à faire ce qu'ils comprennent mal, à parler de ce qu'ils ne connaissent pas, à faire des choses inconsidérées par ignorance, ce qui semble très discutable.
Finalement, Tocqueville tente de montrer en quoi la modernité résulte de l'égalité, alors qu'il faudrait sans doute plutôt se demander en quoi l'égalité résulte de la modernité, comme conséquence parmi d'autres. L'idée d'un mouvement, d'une tendance dans l'histoire pose déjà problème. Mais si on l'accepte, il faut sans doute voir l'égalisation dont parle l'auteur comme le résultat d'un processus historique plus profond encore. Hegel, par exemple, aurait affirmé que ce processus historique est la rationalisation progressive du monde.
Mais la philosophie de l'histoire que développe Tocqueville n'est pas l'intérêt majeur du livre : c'est sa philosophie politique qui a fait date, son rôle historique immédiat n'ayant d'égal que la clairvoyance de l'auteur pour le long terme. L'auteur produit en effet un raisonnement décisif sur le régime représentatif, qui sera suivi après 1848 en France : à l'opposé des dirigeants de la Monarchie de Juillet, comme Guizot, Constant, ou Royer-Collard, qui essayaient de limiter les conséquences de la révolution de 1830, en maintenant par exemple un régime censitaire assez stricte (seulement 250 000 électeurs), Tocqueville affirme la nécessité de « la liberté politique » (II, 4) et sera écouté puisqu'il fait partie des rédacteurs de la constitution de 1848 qui instaure le suffrage universel masculin.
De plus, l'auteur a su prévoir les enjeux majeurs de l' « égalisation des sociétés » :
- l' « aristocratie industrielle » (II, 20), qu'on appellera bientôt la bourgeoisie (cf. Marx), et dont l'opposition avec le prolétariat sera un des problèmes fondamentaux du XIXème (cf. Zola) en Europe et du XXème dans le monde, avec par exemple l'essor du communisme. L'opposition entre les patrons et les employés restent un des conflits majeurs rythmant l'actualité du XXIème siècle.
- le « nouveau despotisme », (IV, 6) craint par l'auteur, est très semblable au totalitarisme dont le XXème siècle connaîtra plusieurs exemples, et les guerres qu'il redoute, globales et rapides (III, 26), anticipent indéniablement sur les guerres mondiales (rien n'est dit par contre sur la possibilité d'une guerre aux Etats-Unis entre le Sud et le Nord)
Le lecteur du XXIème siècle peut même voir dans ce texte la prophétie d'autres phénomènes comme la mondialisation (III, 26), l'émergence de la société de consommation (II, 10-11) ou l'islamisme (I, 5), mais il faut sans doute se garder de dépasser les desseins de l'auteur et de projeter dans l'ouvrage les connaissances historiques dont on dispose a posteriori. L'objet de Tocqueville était moins de prédire le futur que de se prévenir contre les travers possibles de la démocratie.
[...] Car si les principes étaient oubliés, on ne pourrait ni inventer du nouveau ni même bien appliquer. (cf. les Chinois au XVIe ; incapables de changer ou d'améliorer leur héritage scientifique : une civilisation peut retourner d'elle-même vers la barbarie) Les arts : Le goût du bien-être, les efforts pour s'enrichir et l'absence de superflu : les nations démocratiques préfèreront habituellement l'utile au beau, et elles voudront que le beau soit utile. De plus, une grande quantité de productions médiocres dans les arts permet de savoir qu'on est en D. [...]
[...] Ils auraient en réalité moins besoin d'humilité, comme le croient certains, que d'orgueil : une idée plus vaste d'eux-mêmes, pour constituer des projets eux aussi plus vastes L'industrie des places chez certaines nations démocratiques : en Amérique, on a l'ambition éclairée du commerce et de l'industrie, on veut devenir pionnier (on attend peu de l'Etat), notamment car les emplois publics sont en petit nombre Etat centralisé), mal rétribués, instables etc. Au contraire, en Europe les esprits, timides, se tournent vers l'Etat et y recherchent des places. Je ne dirai point que ce désir universel et immodéré des fonctions publiques est un grand mal social ; qu'il détruit, chez chaque citoyen, l'esprit d'indépendance et répand dans tout le corps de la nation une humeur vénale et servile [ ] : tout cela se comprend aisément. [...]
[...] Ils s'occupent donc d'eux-mêmes. Les hommes se fuient. Le grand avantage des Américains est [ ] d'être nés égaux au lieu de le devenir. 4 Les Américains combattent l'individualisme par des institutions libres : Le despotisme a plus de chance de surgir en D qu'en car il survit grâce à l'individualisme (ne songer qu'à soi), qui empêchent les hommes d'unir leurs efforts pour la prospérité commune. En l'envie d'être élu est intéressée, et la concurrence électorale amène des haines particulières, mais elles sont encore préférables à l'indifférence générale du despotisme. [...]
[...] C'est la mieux appropriée à la D et il faut l'enseigner. Le siècle des dévouements aveugles et des vertus instinctives fuit [ la liberté, la paix publique et l'ordre social lui-même ne pourront se passer des lumières L'intérêt bien entendu en religion : L'utilité de la vertu (réprimer l'excès, refuser les jouissances passagères etc.), souvent, ne peut être trouvé que par la récompense dans l'autre monde : il faut préférer les autres à soi pour gagner le ciel. Mais là encore, on est intéressé : le vrai chrétien fait le bien par amour de Dieu. [...]
[...] 19 L'attrait des professions industrielles et commerciales. Politiquement à l'étroit, les Américains (riches surtout) profitent du commerce pour user de leurs avantages naturels exhiber leur audace et leur grandeur, ainsi que pour les émotions que cause la prise de risque, le hasard. Ne serait-ce que pour le gain, ils pratiquent tous le commerce et l'industrie, d'où les progrès fantastiques dans ces domaines. Le retour des crises industrielles est une maladie endémique en elle tient au tempérament même des peuples démocratiques et ne peut se guérir L'industrie pourrait faire émerger une nouvelle aristocratie : A mesure qu'elle progresse, la science industrielle abaisse la classe des ouvriers faibles, bornés, dépendants : l'étude du détail dont chacun a la charge dans la division du travail devient sa seule préoccupation) et élève celle des maîtres (manufactures plus vastes et plus rentables hommes très riches et très éclairés, dans des domaines toujours plus vastes). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture