Alexis Spire, sociologue et chargé de recherches au CNRS (Ceraps-lille2) a publié il y a moins de deux mois (le 20 octobre 2008) son ouvrage intitulé Accueillir ou reconduire, enquête sur les guichets de l'administration, fruit de plusieurs années d'observations réalisées auprès des consulats, des préfectures et des services de main d'œuvre étrangère. En fait, il a pour objectif de brosser le portrait des agents qui décident du sort des étrangers au sein même de ces guichets de l'immigration. En s'introduisant véritablement dans ces services chargés de l'immigration en se faisant employer comme guichetier-vacataire pendant un mois, Alexis Spire a adopté une démarche d'observateur actif, pour mieux cerner les caractéristiques des fonctionnaires avec qui il travaillait.
Accueillir ou reconduire ? Étude sur ceux qui se sont chargés de répondre à cette question.
[...] Leurs décisions engagent l'administration de façon générale. De plus, l'immigration est un sujet de plus en plus politisé, les circulaires du gouvernement sont souvent au centre de débats publics. En fait, la position de ces agents est tout à fait paradoxale : elle est dévaluée dans la hiérarchie administrative, mais d'un autre côté elle offre un pouvoir considérable. Bien sûr, ces agents doivent appliquer les directives de l'Etat, puisqu'ils en sont les représentants locaux, mais il y a bel et bien un décalage entre les circulaires et les pratiques qui en découlent . [...]
[...] De plus, le fait qu'il soit indispensable d'avoir pris rendez-vous renforce aussi la distance entre les sans-papiers et les bureaux de l'administration. Enfin, même avec un rendez-vous, le temps d'attente a semblé très long à mes camarades puisqu'ils remarquent deux hommes repartir avec quatre gobelets à café à la fin de leur temps d'attente. En effet, le constat qui peut apparaître inquiétant, sans vouloir émettre de jugement de valeur, est celui du pouvoir des agents de l'Etat dans la politique de l'immigration en France. [...]
[...] sont les fonctionnaires des guichets de l'immigration. Accueillir cela signifierait régulariser les sans-papiers, ou leur accorder en général un Visa d'un an, cinq voire dix ans. C'est ce qui est en général réservé aux bons dossiers des guichets de l'immigration, dossiers pour lesquels les agents ont estimé qu'il n'y avait pas de problème pour l'intégration dans la société française. Alice, Héléna et Rémy ont observé le cas d'un jeu homme d'origine magrébine d'apparence jeune cadre dynamique qui ressort du bureau d'un pas pressé, remontant l'escalier en enjambant une marche sur deux. [...]
[...] Ainsi, et surtout depuis 2003 avec le renforcement de la politique d'immigration, la politique des guichets entretient un climat d'insécurité juridique pour les sans-papiers. Cette insécurité juridique rend dociles les sans-papiers qui se retrouvent complètement réifiés dans le processus administratif. Ils correspondent davantage à des dossiers à des chiffres qui attendent leur tour dans une file d'attente qu'à des hommes. C'est ce qui ressort de l'observation effectuée par Rémy, Alice et Héléna puisque même si les bâtiments sont tout à fait modernes et propres, l'atmosphère qui règne dans la salle d'attente est calme, silencieuse, ennuyeuse et froide Un écran sur lequel défilent les numéros des tickets des personnes ayant pris rendez-vous et les seuls bruits qui perturbent ce silence de plomb est le téléphone du guichet et les pas des gens qui marchent au niveau du dessus, au rez-de- chaussée. [...]
[...] Ils pourraient avoir trois façons de réagir : premièrement, attitude intransigeante (si leur mission leur semble être une mission morale, politique et civique : ils sont alors de véritables entrepreneurs de morale dont l'obsession de la fraude les pousse à porter des jugements de valeurs sur les migrants), deuxièmement, attitude de compassion (décrits comme les amis des étrangers ils sont réfractaires et n'arrivent pas à s'intégrer dans leur travail). Enfin , ils pourraient rester indifférents, pragmatiques en n'ayant aucun scrupule à appliquer de façon détachée les ordres qui leur sont inculqués. En effet, cette politique en trompe l'œil ou politique discrétionnaire est toujours plus restrictive vis-à-vis des immigrants puisque tout en restant dans le cadre de la loi, elle permet aux agents de freiner voire de bloquer le processus de régularisation d'un sans-papier selon la représentation que les agents se font de leur mission. [...]
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