Depuis la naissance de la Vème république et des institutions qui sont toujours à l'heure actuelle les nôtres, la polémique n'a jamais cessé sur la pertinence et la légitimité de la hiérarchie instaurée. Les débats récurrents sur une potentielle VIe république en témoignent. En ce sens, la démarche de Jean-François Revel s'inscrit dans une longue et traditionnelle analyse critique des institutions par les intellectuels français. Et pourtant, ce pamphlet contre le caractère trop présidentialiste du régime tranche par rapport à ce qui le précède en la matière et même sur ce qui lui succède. En effet, dans cet ouvrage, l'auteur s'attache non seulement à dénoncer ce président omnipotent face à un Etat et un Parlement trop faibles, mais aussi à dénoncer son incapacité à faire avancer le pays. Et c'est en cela qu'il est novateur. Car critiquer les institutions est banal et sans doute inévitable en démocratie, mais s'attacher à démontrer, pragmatiquement, que l'organisation des pouvoirs aboutit à un immobilisme inquiétant va plus loin et ouvre des perspectives de réflexion inédites pour quiconque s'intéressant à la façon dont son pays est administré.
L'idée développée par Revel ici est donc que, si l'on compare cette république par rapport à celles qui l'ont précédé, la France a perdu en clarté démocratique, la séparation des pouvoirs se trouve altérée et n'est plus à même de garantir un juste équilibre et une répartition satisfaisante des compétences. Mais en plus de cela, l'objectif annoncé par De Gaulle et les constituants en 1958, à savoir renforcer les pouvoirs du président pour gagner en efficacité n'est pas atteint. Autrement dit, la France a perdu sur les deux tableaux puisqu'elle souffre à la fois d'un déficit démocratique de ses institutions mais aussi d'une crise d'efficacité sans précédent selon l'auteur, ces deux maux étant liés.
L'absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française n'est pas un ouvrage de droit constitutionnel, il ne prétend aucunement donner des clés objectives pour appréhender et comprendre les institutions de la Vème république. Ce n'est guère plus un ouvrage d'analyse politique car la terminologie n'est pas la même, ni surtout, l'ambition et la prétention. C'est donc un essai, un pamphlet même tant la prise de position est radicale. Le genre de l'ouvrage a ici une importance capitale dans la mesure où il nous donne d'emblée des informations sur l'auteur. On pourrait ainsi partir de l'idée communément admise selon laquelle Jean-François Revel est un essayiste et pamphlétaire. Le style journalistique du livre nous permet aussi de deviner le journaliste qui écrit. Mais il s'avère que l'auteur est plus que cela, il est le fruit d'un long et riche parcours que l'on pourrait aussi qualifier d'original ou d'atypique, ce qui se ressent dans le livre.
[...] L'ouvrage n'est donc absolument pas dénué de contexte, il s'inscrit ici dans la tradition française du pamphlet d'actualité. C'est ainsi en prenant appui sur le contexte de la désillusion mitterrandienne que Jean-François Revel construit sa démonstration sur le déficit démocratique et les dérives présidentialistes du régime, combinant ces deux axes dans l'expression absolutisme inefficace qu'il forge pour l'occasion. L'auteur commence par un état des lieux de la Vème République C'est-à- dire qu'en prenant pour point de départ la présidence Mitterrand, il énumère les limites de la constitution, explique en quoi le rôle du président est démesuré et donc pourquoi la Vème République n'est pas un régime viable. [...]
[...] Autant dire qu'il s'agit d'une des plus belles carrières journalistiques du XXème siècle en France. Parallèlement, Revel continue de publier des ouvrages philosophiques bien qu'il prétende que la philosophie est morte d'ailleurs. Il touche ici à tous les sujets, de son premier essai Pourquoi des philosophes à ses mémoires, il s'intéressera successivement à la politique, intérieure comme extérieure, aux idéologies, aux religions, à l'histoire de l'art, à la littérature et même à la gastronomie ! Sa pensée est totalement libre. [...]
[...] On pourrait croire que les pouvoirs du président sont alors considérablement réduits. En fait, selon Revel, l'hypertrophie présidentielle agit toujours, même si elle agit différemment. C'est même à ses dires un luxe car le président est à la fois au pouvoir et dans l'opposition. Il a donc toute chance d'être réélu ce qui fut le cas de Mitterrand en 1988. Après cet intermède sur le chef du gouvernement, l'auteur se concentre sur le chef de l'Etat et construit sa théorie sur l'absolutisme inefficace en tant que tel. [...]
[...] Pour ne pas se compromettre directement, le président Mitterrand avait sacrifié Hernu, son ministre de la défense, se déchargeant ainsi de toute responsabilité officiellement. Le président a donc tellement de pouvoir qu'il peut se permettre de faire tomber les autres pour garder son emprise sur l'Etat ce qui provoque un transfert d'irresponsabilité. L'affaire du sang contaminé est aussi prise comme exemple par l'auteur pour illustrer son propos, affaire à plus grande échelle encore tant elle incrimine de responsables politiques qui n'ont fait que s'accuser les uns et les autres pour se décharger de toute responsabilité et garder ainsi leur poste. [...]
[...] L'absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française est sans doute le principal ouvrage qui témoigne de son engagement politique à défendre coûte que coûte un régime de liberté et donc à s'ériger en pourfendeur d'une Vème république autoritaire et présidentialiste. Ardent opposant à Mitterrand, il s'en fait pourtant ici l'écho puisqu'il reprend des thèmes que le président du moment avait avancés en 1965 dans Le coup d'Etat permanent et notamment le caractère presque monarchique de la fonction présidentielle. [...]
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