Le Palais Social de Jean-Baptiste André Godin

Résumé du document

« Je voyais à nu les misères de l'ouvrier et ses besoins, et je me disais encore :…je chercherai les moyens de lui rendre la vie plus supportable et plus douce, et de relever le travail de son abaissement », écrivait en 1871 Jean-Baptiste André Godin dans ses Solutions sociales. Un artisan serrurier, en 1842 Godin découvre la doctrine de socialiste utopiste Charles Fourier dans le Guetteur de Saint Quentin, et joint l'École Sociétaire « fouriériste » de Victor Considérant, pour vivre ensuite l'échec de la construction du Phalanstère, la cité d'une société parfaite, au Texas. C'est ainsi que cet inventeur des appareils de chauffage à la base de la fonte, fonde en 1856 une entreprise à Guise près de laquelle il construit en 1859-79 son fameux Palais Social, la Familistère de Guise. La Familistère, inspiré par le phalanstère de Fourier, est un habitat sociétaire pour les ouvriers, une « ville dans la ville » . Le Palais est un quadrilatère central flanqué de deux quadrilatères latéraux avec trois coursives des appartements et une cour à verrière, comprenant une nourricerie, un pouponnât et une école, une bibliothèque, un théâtre, un kiosque à musique, des économats et une cantine, un lavoir pour le linge, une piscine et un jardin. Cette société autosuffisante qui existe dans sa fonction originale jusqu'au 1968, pose aujourd'hui un problème d'interprétation du projet godinien qui semblerait être exceptionnel dans sa réalisation et sa théorie, le peu développée qu'elle soit. On peut ainsi se demander en quoi le projet de Godin, représenté par son Palais Social, relève-t-il de socialisme utopique. Il semblerait que l'œuvre de Godin comporte en effet un reflet du social et de l'utopie, s'appuyant en particulier sur la doctrine fouriériste (I). Cependant, Godin s'éloigne de la pensée socialiste utopiste dans ses tendances idéologiques originales et même paternalistes (II), jusqu'à ce mettre complètement à l'écart des modes de pensée de son siècle dans l'originalité synthétique de son projet (III). Analysons ainsi l'œuvre de Godin dans cette méthode de continuité, de rupture ou d'exception.

Extraits

[...] Une utopie réalisée : l'originalité et l'ampleur d'expérimentation pratique de Godin A. Le pragmatisme godinien : la juxtaposition des intérêts des ouvriers et des maîtres La subtilité de la réalisation du projet de Godin se trouve dans un certain écart entre son acceptation de la formule de l'association fouriériste ou bien sa propre interprétation de l'antagonisme travail-capital, et la réalité de Familistère. Car l'Association du travail, du capital et du talent et le moyen et le principe social que [Fourier] propose, c'est la base des principes économiques»[14], l'Association de Familistère voit le jour en 1880. [...]

[...] Solutions Sociales. Ceci fait un écho à Noiret qui s'écrit dans sa Seconde lettre aux travailleurs, Le travail étant unique source de toute production, chacun doit avoir en entier, à lui, le fruit de son travail (Delabre, Gautier :Lettre à Marie Howland nov.1866) (Paquot : 86) (Delabre, Gautier : 31) Notons ici l'importance du recours au nom du Palais Social, qui évoque la grandeur, l'efficacité et le but social du projet. [...]

[...] Le refus de théories indéfinies et de la Révolution : vers des réformes efficaces Dans son expérimentation pragmatique Godin dépasse une simple acceptation de l'existence de la société capitaliste, allant jusqu'à la tension subsistante des intérêts capitalistes et des principes socialistes, qui permet de trouver non pas l'émancipation par collaboration utopique, mais une véritable amélioration des conditions par le compromis, et non pas simplement par réforme fouriériste. Le compromis dans le Palais se trouve dans la création des multiples palliatifs des solutions provisoires qui vont à l'encontre de l'indéfini de la théorie fouriériste. [...]

[...] La recherche de l'efficacité économique paternaliste Ainsi, le but de Godin est souvent orienté vers l'efficacité économique, même si le profit en soit reparti. En paternaliste éclairé, Godin affirme, «j'ai voulu donner à mon industrie des garanties de durée et d'avenir et assurer à la population importante qui y est attachée le travail qui la fait vivre La primauté du logement social à proximité géographique de l'entreprise[12], combiné à un recyclage régulier et à la persistance du salariat ne relevant pas de la pensée fouriériste, permet de réaliser une meilleure productivité globale par limitation des coûts à travers la suppression de déplacements et la réduction de la dispersion de maisons séparées. [...]

[...] En outre, on retrouve dans le Palais Social l'émancipation intellectuelle et morale de l'individu, condition socialiste utopiste de la nouvelle société, qui provient de l'instruction publique, laïque, gratuite et obligatoire, à pédagogie d'avant-garde insistant sur mixité, mutuellisme et travaux pratiques. L'instauration en 1861 de la nourricerie, le pouponnât, l'école et l'enseignement professionnel[5], éloigne Godin de l'utopie non- pédagogique de Fourier, mais le rapproche du socialisme utopique dans sa tendance générale, du à sa foi en homme capable d'une société meilleure Cette intensification de l'éducation, la création du travail salarié féminin et l'allègement des tâches ménagères, mènent à une émancipation de la femme par qui se rapproche au socialisme féministe de Flora Tristan[7] ou bien les théories d'Enfantin. [...]