Chaque Etat a le pouvoir de choisir librement ses institutions et cela découle de deux principes. Tout d'abord, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes signifie le libre choix par chaque peuple de son régime politique. La non-ingérence est son corollaire, elle est définie par l'article 2§ 7 de la Charte des Nations Unies : « aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d'un Etat ». Ainsi, le droit international a d'abord cherché à exclure toute
forme d'ingérence.
Selon le principe de la non ingérence, les Etats ne doivent pas s'immiscer dans les affaires intérieures des autres Etats. Pourtant, cette règle n'est pas absolue. La capacité de s'organiser librement ne doit pas être synonyme de pouvoir discrétionnaire qui échapperait à tout influence extérieure. Si le droit international cherche à protéger les Etats contre toute intervention extérieure, il crée également des passerelles pour franchir les barrières de la souveraineté en cas de manquement grave aux règles de la vie internationale. De fait, le principe de non ingérence « ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII » de la Charte. L'ingérence est possible en cas de menace contre la paix ou de non respect des droits de l'homme. Des possibilités d'ingérence ont été reconnues marginalement en matière de décolonisation, de lutte contre l'Apartheid ou en cas d'agression donnant lieu à une action coercitive prévue par le chapitre VII.
L'idée que la communauté internationale dispose d'un droit de regard à l'intérieur des frontières d'un Etat qui violerait délibérément les droits de l'homme n'est pas nouvelle. Depuis, le XIX siècle, les grandes puissances ont employé la force armée le cas échéant pour protéger leurs propres ressortissants ou des minorités menacées, notamment religieuses. La France et la Russie étaient intervenues dans l'empire ottoman pour porter secours aux maronites libanais et aux
catholiques syriens menacés par les Druzes. Sous couvert de protection des minorités, les mobiles
occidentaux n'étaient pas désintéressés, la France a ainsi pu poser les bases de son futur protectorat sur la Syrie et le Liban.
D'autre part, il existe de nombreuses exceptions au principe de non ingérence. Un Etat peut être soit sous influence politique (protectorat, Etat satellite), soit sous dépendance économique.
Au cours des années 80, Bernard Kouchner et Mario Bettati ont fondé une nouvelle politique d'ingérence ; d'ailleurs ils l'ont exposé au cours d'un colloque Droit et morale humanitaire en janvier 1987 à Paris. François Mitterrand y précisa que « la non ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non assistance ».
Les normes internationales en matière d'ingérence ont progressivement évoluées. La résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unies du 8 décembre 1988 (43/131) demande aux Etats de favoriser le « libre accès aux victimes de situations d'urgence ». Ce texte est un
fondement général pour l'intervention des ONG, il précise que si les autorités nationales se trouvent dans l'incapacité de faire face aux événements, une action internationale pourrait être entreprise sur leur territoire afin de secourir les victimes. La résolution 45/100 de l'Assemblée générale du 14 décembre 1990 instaure des « couloirs d'urgence humanitaire» dont l'objet est limité dans le temps et dans l'espace. Ces documents ne sont pas obligatoires car ils ont été adoptés par l'Assemblée générale.
Puis à partir du début des années 90, le Conseil de sécurité vote plusieurs résolutions pour intervenir en Irak en vue de protéger les populations kurdes (résolution 688), en ex-Yougoslavie (résolution 770) et en Somalie (résolution 794).
Dans ce contexte plutôt propice aux ingérences, pourquoi n'est on pas intervenu pour s'opposer au génocide des Tutsis au Rwanda ? Pourquoi la Communauté internationale n'a-t-elle pas agi pour éviter ces massacres ?
Dans le cas du Rwanda peut-on réellement parler de non ingérence ?
Il s'agit ici de constater que malgré sa présence sur place, la communauté internationale a joué un rôle de spectatrice au début du génocide, et de se demander si cette attitude est la mise en pratique du principe de non ingérence ou le résultat de l'indifférence des grandes puissances vis à vis du Rwanda. En fait, la situation au Rwanda a révélé les paradoxes et les limites du droit d'ingérence.
[...] Ils se désintéressent pour cette fois du sort des Tutsis Nos yeux ont vu cette fuite des blindés sur la piste. Nos oreilles n'entendaient plus de petites voix reprochantes. Pour la première fois de l'existence, on ne se sentait plus sous la mauvaise surveillance des Blancs. D'autres encouragements consorts suivaient qui nous assuraient d'une liberté sans entraves pour parfaire la tâche. Nous, on se disait : Bon, c'est vrai, les casques bleus n'ont rien fait à Nyamata sauf un demi-tour pour nous laisser tranquilles. Pourquoi reviendraient-ils avant la conclusion finale ? Au signal, on est allés. [...]
[...] L'ingérence ou la non ingérence sont le fruit de rapports de force. En ce qui concerne le Rwanda, il aurait peut être mieux valu être accusé de délit d'ingérence »dès le début ou même avant les massacres qu'être tenu pour responsable d'un génocide. Bibliographie BADIE, Bertrand, La diplomatie des droits de l'homme, Paris, Fayard 322p. BATTISTELLA, Dario et SMOUTS Marie Claude, Dictionnaire des Relations Internationales, Paris, Dalloz BETTATI, Mario, Le droit d'ingérence, Paris, Editions Odile Jacob 324p. BRAECKMAN, Colette, «Rwanda, retour sur un aveuglement international Le Monde diplomatique, mars 2004. [...]
[...] La non ingérence américaine n'a obéi qu'à des motifs purement nationaux. De part cette attitude réticente, les Etats-Unis ont joué un rôle non négligeable dans la crise rwandaise. La Belgique La Belgique ne siégeait pas au sein du Conseil de sécurité de l'ONU en 1994. Cependant, elle a été le pays de tutelle du Rwanda de 1919 à 1961. Les Belges avaient instauré en 1932 la carte d'identité qui mentionne l'ethnie et ont ainsi figé des catégories mi-ethniques, mi-sociales. Au fil du XXe siècle, le colonisateur a privilégié les Tutsis en leur confiant les postes de l'administration ou en garantissant l'accès de leurs enfants à l'école. [...]
[...] Le souvenir du Rwanda est fort présent. Au Kosovo en 1999, le devoir d'ingérence a été invoqué clairement pour la première fois. L'OTAN a ici dépassé les règles de l'ONU, jugées trop restrictives. Cette intervention, illégale mais efficace a sans doute évité un génocide. p 37 : MOREAU DEFARGES, Philippe, Droits d'ingérence, Paris, Presses de Sciences Po p 157-158 : OULD ABDALLAH, Ahmedou, La diplomatie pyromane, Mesnil-sur-l'Estrée, Calmann-Lévy Le risque existe de voir des grandes puissances militaires lancer des opérations armées en prétendant secourir des populations menacées, alors qu'elles assouvissent en fait des ambitions stratégiques. [...]
[...] »11Dès le 5 mai 1994, en plein milieu de la crise rwandaise, le président Clinton signait une directive qui restreignait toute sortie des troupes américaines. Désormais, toute participation doit mettre en avant les intérêts américains, avoir un commandement et un contrôle adéquats des procédures ainsi qu'une stratégie de sortie ».12 L'idéalisme américain en matière de droits de l'homme s'est vite étiolé et Clinton refusa longtemps d'employer le terme de génocide, lui préférant celui de guerre civile ou de missions punitives ethniques. Si l'opinion américaine avait entendue parler de génocide, elle aurait sans doute exigé que l'on fasse quelque chose. [...]
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