L'hospitalité est une notion très riche; il faut donc tenter de l'analyser sous différents angles. On peut certes voir l'hospitalité comme « ce droit qu'a chaque étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive », définition de Kant qui insiste sur l'idée de la nationalité puisque l'hospitalité est donnée ici à un étranger qui arrive dans un nouveau « pays ». Ces considérations étaient le sujet de Kant dans un projet de paix entre les différents Etats Nations ; mais on peut d'abord définir l'hospitalité de manière plus globale. L'hospitalité est avant tout un geste qu'ont naturellement les hommes pour aider les autres, notamment en recevant chez soi un « étranger », en tout cas quelqu'un d'extérieur à chez soi, c'est à dire étranger à sa maison, sa famille, sa communauté…. C'est un accueil qui implique une protection, puisque « l'hôte » envers qui l'on fait preuve d'hospitalité n'a ni repère ni moyen d'être indépendant puisqu'il est étranger. Il y a donc un rapport qui s'établit entre soi et son hôte, qui est un rapport du maître de maison à son protégé (la maison pouvant être son foyer, son domaine, sa ville, son pays…).
Quel lien vient se créer entre la démocratie et l'hospitalité ? D'abord l'existence de l'hospitalité dans la cité athénienne est un premier indice. Athènes qui prône l'égalité entre tous les citoyens comme valeur première, veut-elle ainsi affirmer l'égalité entre les hommes, qui exige le respect de chacun, et m'invite à protéger l'autre quand il est sur mon territoire ? Ou les grecs ne faisaient-ils preuve d'hospitalité que par crainte des dieux ? Quoiqu'il en soit, si l'hospitalité permettait à un étranger, un barbare de séjourner sur le sol de la cité qui n'était pas la sienne, respecté dans sa qualité d'étranger, ceci ne lui permettait en aucun cas de devenir citoyen lui-même : on devine déjà ici la « limite » de l'hospitalité démocratique, qui impose des conditions à ses hôtes.
Comment ne pas faire le lien direct entre la démocratie athénienne, son principe d'hospitalité mais le statut « différent » et limitatif qu'elle accordait aux étrangers, et la situation des démocraties modernes, qui accordent des « permis de séjour », non des « naturalisations » ? L'hospitalité est de mise en démocratie, mais elle laisse exister la différence entre les citoyens et les autres ; ceux qui sont venus d'ailleurs restent venus d'ailleurs ; ils n'ont pas les mêmes droits: ils sont illégaux, sans-papiers…donc condamnés à sortir. On exige d'eux qu'ils s'en aillent. Et comme de nos jours il devient difficile aux Etats d'assurer la sortie de ces visiteurs , on tend même à les refuser radicalement, à les chasser. La frontière, lieu de confrontation, de violence, y compris aux portes des démocraties, est parfois devenue infranchissable. L'hospitalité n'existe plus.
[...] La démocratie elle-même ne se met-elle pas en danger, par son excès d'hospitalité ? Que ce soit parce que son territoire est trop petit, parce que ses ressources ne sont pas suffisantes, ou bien parce qu'elle veut préserver le bien-être de ses citoyens à demeurer dans leur régime démocratique, on voit que non seulement le gouvernement peut, au nom de ses principes et de sa survie, poser des limites à son devoir d'hospitalité, mais pire refuser ce devoir. Si l'exemple du foyer hospitalier qui ne peut plus subvenir aux besoins de tous est bancale, car invraisemblable (si j'héberge quelqu'un à long terme, il est naturel qu'il se rende utile au foyer, en participant aux besoins collectifs ; dans le cas contraire, l'hôte ne respecterait pas les lois de l'hospitalité, où s'installe un respect mutuel entre le maître de maison et le protégé, et s'il transgresse ses lois, l'hospitalité perd son sens). [...]
[...] L'exigence démocratique, peut-on alors se demander, est-elle celle qui s'applique à ses citoyens, donc, et non à l'Etat démocratique. Voilà peut- être une solution, pour répondre oui à la question, tout en permettant à l'Etat de continuer à poser des conditions. Pourtant, la démocratie étant le gouvernement du peuple par le peuple, il y a là une contradiction, à savoir une opposition entre les principes des citoyens et ceux de la démocratie. Comment le devoir du gouvernement du peuple peut-il différer de celui de son peuple en démocratie ? [...]
[...] Mieux vaut donc penser à nous en priorité. Or c'est là nier l'hospitalité, faite de solidarité, de don de soi et de tolérance. Il n'y a plus d'ouverture à l'autre possible, or c'était son fondement. Nous sommes en train de prôner la xénophobie (la haine de l'autre) car elle menace notre propre existence ou peut-être notre simple confort. Le devoir d'hospitalité pose donc un sérieux problème à la démocratie. Si celle-ci veut être cohérente avec ses valeurs, c'est à dire si un gouvernement place parmi ses valeurs centrales les Droits de l'Homme, au nom desquels on ne peut laisser quiconque dans une situation d'injustice et de dénuement par exemple, il se doit de faire preuve d'hospitalité. [...]
[...] Si les modèles sociaux nés en Europe, sont un progrès indéniable et considérable, et si ils exigent un don des plus riches aux plus pauvres, peut-on vraiment assimiler cela à l'hospitalité ? Les Etats sans doute considèrent qu'ils remplissent là leur devoir d'hospitalité, qui sert en plus l'exigence d'égalité. Mais on ne peut pas vraiment substituer la redistribution des biens économiques à l'hospitalité. Comme nous l'avons dit, l'hospitalité est un rapport d'homme à homme, qui va au delà du don matériel. [...]
[...] Cependant, si la terre appartient à tout le monde, ce qui s'érige au-dessus du sol n'appartient pas à tout le monde Tout ce qui relève de la culture sur un territoire donné (le bâti, les villes, les routes mais aussi l'ordre y régnant, avec les institutions, l'histoire ) ne peut pas appartenir à tout le monde et c'est en cela que l'étranger, vis à vis de qui l'on fait preuve d'hospitalité, ne peut tout de même pas rester et demeurer sur cette terre. L'hospitalité dont nous parle Kant est donc un droit de visite et non un droit de résidence. Voilà donc une conception des choses qui facilite la tâche aux Etats. Le devoir d'hospitalité est reconnu, puisque la terre appartient à tous les hommes, mais certains lieux sont davantage à certains, du fait de l'histoire, donc les étrangers ne peuvent qu'y passer. [...]
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