Il est très difficile, voire impossible, de saisir pleinement l'essence des évolutions politiques des Etats maghrébins depuis le XIXe siècle si l'on néglige la donnée migratoire. Depuis la colonisation européenne le Maghreb s'est en effet affirmé comme un espace migratoire majeur, au sein duquel lesdites migrations ont eu un impact politique, et ce principalement au Maroc, en Algérie et en Tunisie. On peut citer à cet effet l'immigration européenne à destination de l'Algérie, et la question des Pieds Noirs lors de la guerre d'Algérie. Le phénomène migratoire majeur est cependant inverse ; il s'agit de l'émigration maghrébine, désignant le départ d'une population des pays maghrébins pour s'installer dans des pays occidentaux. L'émigration s'apparente ainsi à une forme de déplacement de capital humain d'une zone à une autre, et dans le cas présent du Maghreb aux pays du Nord, les Etats de l'Union européenne n'étant désormais plus les seules terres d'accueil des émigrés maghrébins. Le phénomène d'émigration débute dès le début du XXe siècle, pour connaître un véritable essor dans les années 1960.
Depuis 2003 et la très médiatisée politique française « d'immigration choisie » se sont par ailleurs multipliés les débats sur l'émigration maghrébine en Europe. On entend alors parler d'émigration choisie, d'émigration subie, ouvrant un débat sur la nature de l'émigration dans le cadre de la colonisation, durant les Trente Glorieuses, et dans la période qui suit. Ce débat pointe du doigt l'évolution tangible de l'émigration maghrébine. L'évolution de l'image de l'émigré maghrébin est ici significative, de l'ouvrier algérien des années 1960 à l'entrepreneur tunisien des années 2000, en passant par le commerçant marocain des années 1990. Ces différentes figures, qui s'inscrivent dans différentes périodes, indiquent clairement que la nature même de l'émigration maghrébine a été touchée, que cette dernière a évolué vers une nouvelle forme. Il est alors nécessaire de saisir ce en quoi elle a évolué, mais aussi les raisons de son évolution.
[...] Ces deux faits sont en réalité liés et forment un cercle vicieux : la crise économique tend à renforcer la violence et l'opposition contre l'Etat, ce qui entraîne une réaction de l'Etat et pousse la population à l'émigration, atteignant de fait l'économie du pays. Ces problèmes contribuent ainsi à instaurer un climat peu favorable au développement d'un projet social au sein du pays d'origine et encouragent de ce fait la population à l'émigration. L'une des solutions à l'émigration de masse est ainsi l'un des vieux démons du Maghreb, à savoir relancer la croissance économique et instaurer un pouvoir politique stable et plus démocratique. [...]
[...] En effet, l'absence d'un système éducatif probant, mais aussi, et surtout, de formation professionnelle fait que les émigrés sont durement touchés par la segmentation en vigueur dans les pays d'accueil, et ne rapportent de fait que très peu de richesses à leurs Etats d'origine. La première vague d'émigrés se caractérisait ainsi notamment par l'absence d'instruction. Cela relevait de différents facteurs, mais notamment de l'incapacité des Etats maghrébins à gérer des régions reculées et isolées, plongées dans une misère terrible, à l'image du Rif marocain ou des régions montagneuses de l'Algérie du Sud. Ce manque d'instruction fait que les seules compétences pouvant faire office de valorisation professionnelle pour les émigrés maghrébins sont acquises sur le tas. [...]
[...] Il semble enfin important de compléter cet exposé de l'évolution de l'émigration maghrébine par son intégration dans l'espace migratoire maghrébin. En effet, un phénomène relativement récent d'immigration subsaharienne pose désormais problème aux autorités marocaines, algériennes et tunisiennes. Cette force de travail peu qualifiée s'entasse ainsi aux frontières du Maghreb avec le désir de rallier l'Europe. Ses espoirs déchus, elle se tourne alors vers le marché intérieur maghrébin, et renforce alors une offre de travail déjà largement excédentaire, poussant de fait une partie de la population maghrébine à émigrer (par manque de compétitivité notamment, au vu des salaires particulièrement bas réclamés par les travailleurs subsahariens). [...]
[...] Annexe 3 : Deuxième Partie Evolution du type d'émigration Répartition des immigrants originaires du Maghreb selon le motif d'admission Ce graphique circulaire est symbolique de la seconde vague d'émigration. Les travailleurs ne sont plus qu'une infime minorité A l'inverse, les deux composantes majeures de cette nouvelle émigration sont les étudiants et les familles ces dernières bénéficiant de la procédure de regroupement familial, au même titre que les mineurs (11,21). Ici se trouve confirmée la mutation d'une émigration de travail, désormais minoritaire, en une émigration de fixation, concernant à la fois le (ou la) travailleur/salarié/entrepreneur, et sa famille. [...]
[...] L'évolution du contexte politique de l'émigration maghrébine, ajoutée au renforcement d'un espace mental transméditerranéen suggère une mutation du type d'émigration. Ainsi l'émigration de travail qui a cours en masse jusque dans les années 70 connaît par la suite un important coup d'arrêt, et tant les politiques mises en place par les Etats pour favoriser l'émigration de cadres et de compétences que la création d'un cadre mental commun tend à laisser penser que l'émigration de travail, que l'on peut considérer comme une forme d'émigration subie est alors sur le point de laisser sa place à une forme d'émigration choisie par les migrants, ce qui présume dès lors un nouveau type de migrants. [...]
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