En mai 1968, les étudiants revendiquaient sous le slogan « Il est interdit d'interdire » le principe de la liberté d'expression alors qu'elle semblait confisquée par un pouvoir très interventionniste. Une des plus médiatiques interdictions de publication fut en 1970 celle du journal satirique Hara-Kiri qui dut changer de nom pour pouvoir reparaitre dans les kiosques, après sa couverture sur la mort de De Gaulle : « Bal tragique à Colombey : un Mort ».
Plus récemment, la Bibliothèque nationale de France a dévoilé au public dans le cadre d'une exposition nommée « l'Enfer de la bibliothèque », tous les textes et images réputés contraires aux bonnes mœurs. Ils étaient inscrits sous une côte « y2 », c'est-à-dire dans l'enfer de la bibliothèque, lieu où les consultations étaient presque toutes interdites car soumises à des autorisations d'accès particulièrement difficiles à obtenir.
Enfin, on peut évoquer la récente destitution du Sous Préfet de Saintes, trop prolixe dans ses critiques vis-à-vis d'Israël et pas assez soucieux de son droit de réserve, des interdits d'opinion dus à sa fonction.
On voit ainsi, que définir les contours de la liberté d'expression est complexe, et que le débat est encore aujourd'hui d'une grande actualité.
La liberté d'opinion est considérée comme une liberté humaine fondamentale dans les démocraties modernes. Il s'agit de la liberté pour chaque individu d'adopter dans n'importe quel domaine l'attitude intellectuelle de son choix, qu'il s'agisse d'une pensée intime ou d'une prise de position publique. La liberté d'expression apparaît donc indispensable puisqu'elle constitue une arme essentielle pour lutter contre le conformisme et les tyrannies. Afin de limiter notre champ d'investigation, nous traiterons principalement des pays ouverts à la démocratie.
La liberté d'expression est protégée par de nombreux textes. Ainsi, l'article 19 de la déclaration universelle des droits de l'homme affirme que « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soutient que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». On voit qu'au moment même où cette liberté est consacrée par la déclaration de 1789, la constituante s'inquiète déjà des ‘‘abus'' qu'elle pourrait susciter et se prépare à user de la loi pour limiter la portée de la liberté qu'elle défend. Paradoxalement, l'interdit juridique par les limitations qu'il impose pourrait également être un instrument permettant de défendre la liberté d'expression. Il n'y a donc pas forcement d'opposition entre l'interdiction d'une opinion et la liberté d'expression.
Avec la modernisation et la sécularisation des sociétés, avec l'histoire et ses rebondissements, avec le jugement qu'autorise le temps écoulé sur les événements passés, il est apparu des opinions dont les ravages ont démontré l'extrême capacité de nuisance. Il s'agit d'écrits, de pensées, de propos intolérables, inacceptables, inexcusables ayant un caractère antisémite, négationniste, ségrégationniste, ou encore raciste. Leur interdiction est apparue nécessaire afin de protéger l'individu dans l'exercice de son culte, de sa nationalité ou de son orientation sexuelle. Dès lors ne peuvent plus être tolérées les opinions qui « détruisent les autres », qui portent atteinte à leur intégrité physique.
L'interdiction de certaines opinions peut alors prendre des formes très explicites et très juridiques comme par exemple, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » qui crée le délit de négationnisme du génocide des Juifs. On peut aussi évoquer la loi qui, à l'étranger, interdit et punit le blasphème. C'est le cas en Allemagne, en Autriche, en Norvège, en Finlande ou en Italie. Ce n'est pas le cas en France mais la polémique qu'a provoquée l'affaire des caricatures de Mahomet montre que la critique des religions n'est pas encore totalement acceptée.
Cependant, les interdictions peuvent revêtir des formes de censures moins transparentes, plus sournoises et répondre à des problématiques moins nobles que le respect des droits de l'homme. Il en est ainsi des limites imposées aux champs d'expression d'un individu afin de protéger les intérêts économiques de grandes firmes, à l'image du Comité Olympique britannique qui envisageait de faire signer aux athlètes un contrat leur interdisant de s'exprimer sur des sujets « sensibles » à l'occasion des Jeux Olympiques de Pékin sous peine d'exclusion. Encore plus invisible, il existe une forme d'autocensure que la société médiatique s'impose. Elle apparaît liée au mécanisme de socialisation et à la recherche d'une forme de compromis, de consensus. L'autocensure semble s'inscrire dans un rapport de force entre le journaliste et les institutions, mais aussi entre le journaliste et son employeur ( Manufacturing consent : the political economy of the mass media , Noam Chomsky). Serge Halimi, dans son livre Les nouveaux chiens de garde dénonce cette compromission médiatique qu'il qualifie de « journalisme de complaisance ».
Malgré les progrès de la liberté d'expression et quel que soit l'habillage de la censure, un constat peut être fait : les opinions interdites survivent. Face à cette réalité, il est légitime de s‘interroger : la solution juridique peut-elle être le seul moyen de contrôle et de neutralisation du développement de ces opinions nuisibles ? Doit-on légiférer contre la bêtise, le mensonge, la provocation ? D'après Raoul Vaneigem, dans son ouvrage Rien n'est sacré, tout peut se dire, c'est la liberté d'expression qui est le meilleur instrument de lutte contre les opinions dérangeantes. La loi pose des interdits et pourrait « victimiser » les censurés et amplifier par la polémique la portée de leur discours. Pour éradiquer ces opinions intolérables, un plus grand usage de la liberté d'expression est-il l'unique solution ?
Si la censure fut la première façon, brutale et sans nuance, d'interdire certaines opinions, nous verrons que face à elle, la liberté d'expression s'est malgré tout émancipée (I) jusqu'à solliciter l'usage de la loi pour établir un cadre au droit d'expression. Les nouveaux paysages médiatiques et le développement des forces économiques en restreignent toutefois la portée (II). Face aux limites de la loi comme source d'interdiction moderne de certaines opinions et devant l'apparition de nouvelles censures, ne faudrait-il pas plutôt s'engager dans une autre voie comme celle proposée par Raoul Vaneigem qui préconise une totale liberté d'expression? Cela suppose sûrement des contreparties afin d'en faire bon usage. (III)
[...] Parmi ces quatre lois mémorielles, deux intéressent particulièrement notre sujet, car elles interdisent des opinions intolérables sous peine de sanction. Il s'agit de la loi Gayssot qui interdit la contestation de crimes contre l'humanité en insérant un article dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, l'article 24 bis précisant : seront punis ( ) ceux qui auront contesté ( ) l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale Cette loi a été adoptée dans un contexte particulier de publicité des thèses du négationniste Robert Faurisson remettant en cause le génocide des Juifs et de leur exploitation par l'extrême droite. [...]
[...] Après vérification, l'évêque autorisait l'impression des documents. Lors du Concile de Nicée en 325, est condamnée la première menace hérétique. Mais c'est surtout au XIIème siècle, époque de la multiplication des hérésies, que la censure religieuse devait croître. L'Inquisition fut mise en place et instaura les pratiques d'autodafé qui consistaient à faire brûler les documents considérés comme blasphématoires. Les débuts de l'imprimerie au XVème siècle amenèrent les autorités religieuses et politiques à donner un cadre à la censure, à légiférer. [...]
[...] Si on interprète la logique de R. Vaneigem, qui souhaite qu'il n'y ait plus de borne à la liberté d'expression, il faudrait que l'éducation citoyenne dure toute la vie. L'éducation qui commence tout petit et qui ne devrait jamais s'arrêter, car la démocratie véritable est toujours en construction, dans la mesure où, comme dans l'Athènes de Platon, elle suppose la culture, l'ouverture d'esprit, la tolérance, le sens du complexe, le respect d'autrui dans sa différence (certes, Athènes avait aussi ses esclaves et ses métèques D'ailleurs, il serait judicieux de s'inspirer de la Grèce antique pour améliorer notre éducation citoyenne. [...]
[...] (III) Face à la censure, une liberté d'expression qui s'est progressivement affirmée Histoire de la censure La censure peut se définir comme un ensemble de règles édictées et de mesures prises par le pouvoir étatique ou par un pouvoir religieux qui tend à contrôler, limiter, voire supprimer la liberté d'expression. Tous les régimes dans l'histoire ont connu des formes de censure. Selon J.M Ducomte, les modalités de la censure sont diverses et sont fonction des conditions d'évolution et de diffusion de la pensée. Les premières manifestations de la censure sont visibles dès l'Antiquité. [...]
[...] Nombreuses sont les grandes instances internationales qui ont reconnu le caractère déterminant du rôle joué par la liberté d'expression. On peut évoquer la résolution 59.1 adoptée par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies selon laquelle la liberté d'expression est un droit fondamental et ( ) la pierre angulaire de toutes les libertés à la défense desquelles l'Organisation des Nations Unies s'est vouée Ce droit est relayé par des tribunaux et organisations telles que le Comité des droits de l'homme de l'ONU qui affirme que : Le droit à la liberté d'expression revêt une importance essentielle dans toute société démocratique La Cour européenne des droits de l'homme quant à elle stipule que : La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels de la société (démocratique) et l'une des conditions primordiales de son progrès et du développement de chacun La garantie de la liberté d'expression est également primordiale dans les médias. [...]
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