« Chaque époque rêve la suivante. Avenir ! Avenir ! »
Cette citation de Michelet se situe au centre de la réflexion critique qu'élabore Walter Benjamin dans son Exposé de 1935. Benjamin n'est pas un auteur comme les autres, son œuvre pourtant singulière et anachronique reste néanmoins actuelle. Adorno disait de son ami qu'il était « à l'écart de tous les courants » . L'homme, que Miguel ABENSOUR surnomme dans l'œuvre qui nous servira de référence, L'utopie de Thomas More à Walter Benjamin, « le guetteur de rêves », nous incite à travers ses écrits à le suivre dans une initiation au monde de l'utopie.
Benjamin rend compte d'une approche singulière de l'utopie. A travers sa pensée, l'utopie apparaît comme la forme du rêve du collectif. Pourtant dans cette utopie il distingue deux strates. La première, historique, se construit par les représentations d'une société meilleure qui naissent à chaque époque, provoquées selon lui par l'apparition d'un nouveau moyen de production. « Le collectif, écrit Walter Benjamin, exprime tout d'abord ses conditions de vie. Celles-ci trouvent leur expression dans le rêve » . L'utopie sera donc évoquée en premier lieu au sein de ce travail en tant que rêve formé par le collectif d'une société meilleure, d'une vie meilleure pour l'avenir. Mais Benjamin ne s'arrête pas à cette strate et en distingue une seconde, anhistorique qui est en quelque sorte « le noyau invariant de l'utopie ». Ce noyau invariant est à son sens la volonté enfouie de chacun du retour à un âge d'or, c'est-à-dire à une société sans classes qui aurait existée dans un passé très ancien renvoyant au deçà de l'histoire. Benjamin sera amené à mettre de manière naturelle ces deux strates en opposition. La seconde strate sera dans un premier temps quelque peu mise de côté afin de concentrer notre attention sur la première.
Pour illustrer cette première strate de l'utopie et la comprendre dans son essence, Benjamin tisse une métaphore envoûtante autour des « passages », symboles d'un Paris du début du XXème que l'auteur considère comme sa seconde patrie. Et en effet, « Les passages qui relient les grands boulevards et offrent un abri contre les intempéries ont exercé sur Benjamin une fascination si énorme qu'il l'évoquait dans l'œuvre majeur qu'il projetait sur le XIXe et sa capitale sous ce simple titre : Les passages » . Le voyage de Berlin à Paris représentait pour lui un retour dans le temps, un retour au XIXe et qui l'éloignait du XXe, époque dans laquelle le philosophe souffrait. « Benjamin paraissait avoir été jeté du XIXe dans le XXe comme à la côte d'un pays étranger » . Ce mal-être dans le nouveau marquera profondément la pensée de l'auteur et est fondamentale pour comprendre son approche critique de la modernité.
A travers sa démarche, Benjamin met en garde contre l'utopie de par les mythes qu'elle déploie dans la conscience collective. Il élabore une alternative entre l'utopie et la catastrophe sans pour autant rejeter l'utopie. Il ne sombre ni dans l'éloge où la condamnation radicale de celle-ci mais en offre une approche controversée.
Ce travail explicitera l'approche particulière que nous offre Walter Benjamin et nous amènera à la considérer comme une leçon intemporelle pour toute société. Mais cette étude peut faire naître en chacun un sentiment amer :
L'approche de l'utopie que nous offre Walter Benjamin n'obligerait elle pas à constater une inclination sévère de notre société vers le néant qui confirme la nécessité d'un éveil ?
Afin de répondre à cette problématique nous étudierons l'approche de l'utopie qu'effectue le philosophe et son rapport au néant dans un premier temps d'une manière théorique puis en la replaçant dans son contexte.
Enfin nous nous attacherons à démontrer que l'éveil qu'annonçait Walter Benjamin n'a toujours pas eu lieu en démontrant la marche de nos sociétés vers le néant avant d'examiner les raisons pour lesquelles cet éveil ne s'est pas réalisé et proposer des moyens d'y remédier.
[...] En effet Sorel, contrairement à Benjamin, après avoir dénoncé l'effet néfaste des mythes comme gamme des fonctions idéologiques dans les premières étapes de sa réflexion renomme cette catégorie qu'il estime trop large et la qualifie d'utopie. Il s'emploiera ensuite à démontrer l'effet bénéfique d'un mythe social poussant la classe prolétaire à l'action. Sorel G. dans Gianinazzi W., Naissance du mythe moderne, Georges Sorel et la crise de la pensée savante, Éditions de la maison des sciences de l'homme, Saint Just la Pendue 231p., p.78. Morin E., Pour sortir du XXe siècle, Fernand Nathan, Saint Amand 380p., p 213. Ibid. Benjamin W. [...]
[...] Notre guetteur de rêves endosse alors le rôle de sauveur de l'utopie pourchassant entre sommeil et éveil la déraison qui la ruine. Cette critique de l'utopie, Benjamin la construit dans son œuvre Paris, capitale du XIXe siècle autour d'une métaphore mettant en scène les passages si caractéristiques de la ville. Il dévoue ainsi entièrement sa théorie à l'étude de son époque et prouve sa volonté de dénoncer à l'aide de celle-ci des mythes bien particuliers et propres au XIXe. Une critique ciblée sur les mythes instaurés lors de l'avènement du capitalisme La critique de l'utopie que propose Benjamin s'empare de tout son sens que si on la replace dans son contexte. [...]
[...] Ce phénomène marque la victoire suprême du capitalisme de consommation qui a su de par les mythes qu'il a infiltrés dans les désirs collectifs se déployer dans chaque recoin de nos sociétés. Nous sommes parvenus au stade de l' Homo consumericus un homme éduqué pour la consommation qu'il place au centre de sa vie. Cette nature actuelle de nos sociétés vient donc implicitement prouver que les individus se sont laissés bercer par les mythes nés au début du XIXe et ne s'en sont jamais extirpés. [...]
[...] C'est alors que le philosophe s'emploie à construire une réelle dialectique du réveil qui permettrait au collectif de prendre conscience de la réalité, de rejoindre la rive de la réalité. La dissolution de la mythologie évoquée se réalisera dans l'éveil du corps social. Le rêve attend secrètement le réveil, celui qui rêve ne se livre à la mort qu'à titre révocable, il attend la seconde à laquelle il s'arrachera à la ruse par ses griffes. Il en va de même pour le collectif Cette emprise du mythe n'apparaît alors que temporaire à l'image du sommeil. [...]
[...] Une approche controversée de l'utopie en lien avec la modernité L'héritage de Benjamin est fondamental de par la critique des mythes qu'il développe. Selon l'auteur ses mythes, qui se développent lors de l'apparition d'une nouvelle machine de production et qui révèlent la volonté du collectif de connaître un avenir meilleur représente un danger pour ce même collectif. De plus, l'utilisation de la métaphore des passages montre bien que la critique de la mythologie, chez Benjamin, s'inscrit dans un contexte qui lui est spécifique donnant un aspect plus ciblé à sa condamnation. [...]
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