Tout porte à considérer la médiatisation des événements sous l'angle d'un certain rapport au temps, comme s'ils étaient mus par une articulation dynamique entre plusieurs niveaux de temporalité. Les événements eux-mêmes sont des entités temporelles que la philosophie analytique (1) distingue des objets, plus directement en rapport avec l'espace. Ils entrent dans des récits qui sont aussi une configuration du temps. L'occurrence qui surgit commet une effraction dans un ordre des choses en même temps qu'elle provoque une demande de sens. Ce qui arrive doit être nommé, décrit, expliqué, raconté. Le récit va réduire le désordre engendré par le « saillant » de l'événement en constituant autour de lui une matrice d'intelligibilité. Paul Ricoeur a montré que cette « mise en intrigue » (car il s'agit avant tout d'un artefact, non d'un schéma explicatif qui serait inhérent à l'événement) agence en vue d'une fin spécifique un ensemble d'éléments hétérogènes : motifs, buts, agents, etc. Le récit produit alors un nouvel ordre qui repose sur une configuration temporelle particulière. Il prend place de cette manière dans un processus global de médiation du temps vécu entre le champ de l'action et celui de la réception (2). Pour autant, la description d'un événement ne l'enferme pas dans le temps de son émergence. D'autres perspectives le traversent comme des lignes de fuite ouvertes sur le passé ou le futur. Cette temporalisation convoque les deux catégories historiques mises en évidence par Reinhardt Koselleck, « le champ de l'expérience » et « l'horizon d'attente ».
[...] Charles Jaco, envoyé en Arabie Saoudite, fait le point sur la préparation de l'offensive terrestre. Quelques brèves images de l'enterrement du premier soldat américain tué au combat et enterré au cimetière d'Arlington. L'écran affiche un message concernant des attaques entre les troupes irakiennes et alliées à la frontière saoudienne. Pendant la demi-heure suivante, les mêmes nouvelles seront reprises et développées dans le cadre d'une émission intitulée Headline News. Ces différentes intrigues s'entrelacent, se croisent, se juxtaposent ou se succèdent sans véritable hiérarchie. [...]
[...] Dans le troisième et dans une certaine mesure, dans le deuxième cas, les récits des reporters s'inscrivent dans un présent que Paul Ricoeur désigne comme un être en commun Ce temps de la présence commune s'ouvre au passé comme au futur au travers de ce que H. Weinrich nomme perspectives de locution c'est-à-dire des orientations prospectives ou rétrospectives de l'énonciation. Sur les chaînes généralistes, la programmation des journaux télévisés, qui subsiste pendant le conflit, oblige les journalistes à résumer les heures qui précèdent, même si des flashs ou des séquences d'information en continu ont été diffusés au cours de la journée. [...]
[...] L'absence de point de vue rétrospectif oblige à prévoir les conséquences immédiates des événements en termes de réactions privilégiant les décideurs politiques et les opinions. L'ignorance du point final qui pourrait orienter les étapes de l'intrigue oblige à prendre en compte la totalité des occurrences survenues dans l'aire d'émergence de l'événement et à fractionner le récit en séquences de plus en plus brèves. Ces procédés accélèrent aussi considérablement le rythme de l'événement. La construction des séquences parallèles permet de gérer une temporalité différenciée en fonction des points d'ancrage. [...]
[...] La présence d'intervenants dans la narration de l'évènement contribue également à modifier son rythme. Les interviews des protagonistes sont diffusées en différé et l'information en continu ne peut donc rendre compte de l'évolution de l'évènement prise comme un tout. Elle fragmente l'évènement principal en une série de micro évènements qui sont d'autant d'intrigues lui apportant un rythme spécifique. D'autre part, le direct qui fait coïncider l'évènement dans sa durée, son énonciation et sa diffusion, requiert parfois le recours à la récapitulation pour résumer ce qui s'est déjà passé. [...]
[...] Le rythme et la fragmentation des intrigues Les récits des acteurs militaires mettent en évidence trois phases principales dans le déroulement de la guerre. Une phase de montée en puissance des forces alliées en Arabie Saoudite du 6 août au 17 janvier. Du 17 janvier au 24 février, une deuxième phase de campagne aérienne stratégique et tactique de destruction du potentiel et de réduction des forces de théâtre tandis qu'étaient menées des opérations de diversion à l'est (fausses attaques frontales en limite sud du Koweït, préparation simulée d'un débarquement de Marines sur les côtes du Koweït) et que l'ensemble des forces alliées conjointes effectuait en secret un mouvement de mise en place de plusieurs centaines de kilomètres vers l'ouest. [...]
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