NIAMEY (AFP) — Les journalistes français Pierre Creisson et Thomas Dandois, inculpés et incarcérés au Niger depuis près d'un mois pour "atteinte à la sûreté de l'Etat", ont obtenu vendredi leur liberté sous caution, dernier épisode en date d'une longue série d'incidents entre les autorités et la presse nationale et internationale.
Incarcérés depuis le 21 décembre, Creisson et Dandois, qui travaillaient pour la chaîne de télévision franco-allemande Arte, avaient obtenu une autorisation pour des reportages sur la grippe aviaire, mais en avaient profité pour en réaliser un autre sur la rébellion touareg du MNJ (Mouvement des Nigériens pour la Justice) dans le nord, interdit à la presse depuis août. »
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Cette dépêche de l'AFP figure désormais parmi les nombreux articles qui parsèment la presse depuis bientôt un an. Le Niger fait parler de lui, entre ses accords signés avec Areva, ses journalistes incarcérés et sa rébellion dans le nord. Mais ce pays n'est pas le seul : Mauritanie, Algérie, Mali, Sahara Occidental, Libye, Tchad… Le Sahara serait-il redevenu une large « zone grise » où rébellions, banditisme, mouvements identitaires et terrorisme islamiste sévissent au quotidien ? La faiblesse des Etats et leur évidente inefficacité conduit les touristes à la désertion, marginalisant plus encore cette région en proie à toutes les difficultés.
Comment démêler, dans cet imbroglio de conflits et tensions qui agitent le Désert des déserts, le vrai du faux, l'info de l'intox ? Qui croire, entre intérêts occidentaux, psychose américaine, mauvaise foi africaine et sournoiserie chinoise ?
Un problème, apparemment récurrent dans la région, est celui de la question touarègue. Ce peuple et son mode de vie paraissent proprement incompatibles avec la construction des Etats-nations, et 2007 a été l'année d'un nouveau soulèvement touareg au Mali et au Niger.
Il est toujours difficile d'aborder ce thème sans s'attirer les foudres des uns et des autres, sans attiser les plus vives passions. Bien que très vite catalogués pro ou anti Touaregs, des chercheurs ou journalistes essaient néanmoins de porter un regard objectif sur les enjeux de ce problème, malgré les risques certains qu'ils encourent.
De même, il semble que l'on ne puisse évoquer ce sujet sans s'enfoncer dans le cycle vicié de la poule et de l'œuf : qui a commencé ? Les rebelles et leurs vagues de rébellions ou l'armée et ses vagues de répression ?
Pour éviter de tomber dans ce travers manichéen, il faut tenter de rester dans le cadre objectif de l'analyse, bien qu'il soit extrêmement difficile, par manque de recul sur les récents événements, de ne pas prendre parti. L'idée est davantage de comprendre les logiques identitaires du peuple touareg, en interaction avec les différents Etats dans lesquels ils se trouvent. Pourquoi les Touaregs se révoltent-ils ? Comment expliquer ce qui les a conduit, dans les années 90 et de nouveau depuis l'année dernière, à prendre le chemin des armes ? Ces rébellions sont-elles le fruit de facteurs objectifs ou davantage le produit d'une construction identitaire subjective ? L'identité touarègue est-elle en crise ?
Il s'agit de proposer des éléments de réponse afin de comprendre le problème actuel et savoir, en somme, s'il est véritablement insoluble. Après avoir présenté les caractéristiques géographiques, historiques et identitaires du peuple touareg, nous nous attacherons davantage à comprendre et expliquer le processus des rébellions et leur logique, entre facteurs rationnels et subjectivité.
[...] Les Touaregs n'ont cependant pas l'exclusivité des revendications identitaires dans le monde. Christian Coulon écrit qu'aujourd'hui l'ethnicité est un mode d'identification disponible et légitime d'où une actuelle saillance de l'ethnicité La logique identitaire s'inscrit très clairement dans le contexte de la globalisation, qui produit nécessairement une uniformisation des cultures et des peuples. Par extension, la globalisation provoque également un besoin de différenciation. Le cas touareg répond parfaitement à cette dynamique : la généralisation de la forme moderne de l'Etat nation amène ce peuple à aligner son mode de vie sur celui des sédentaires, générant dans le même temps un sentiment de frustration et une volonté de distinction. [...]
[...] Malheureusement, la tendance n'est pas à la démocratisation de l'Afrique. Le Niger a des ressources à offrir qui justifient le silence des grandes puissances ; la France a tout intérêt à faire la sourde oreille, elle vient de signer un nouveau contrat pour alimenter ses centrales nucléaires Bibliographie BERNUS Edmond, Etre Touareg au Mali Politique africaine, octobre 1992, pages 23-30. BOURGEOS André, Révoltes et rébellions en pays touareg Afrique contemporaine, n°170, 2e trimestre 1994, pages 3-19. BOURGEOS André, Les rébellions touarègues, une cause perdue ? [...]
[...] Devenir rebelle, dans ce contexte, c'est devenir un peu plus Touareg. La rébellion s'apparente dès lors à un rite initiatique pour ces jeunes pour qui les mécanismes traditionnels d'intégration n'ont pas fonctionné. L'identité se construit, s'utilise, se manipule. Les ishumar, qui avaient perdu leurs racines, ont inventé une nouvelle manière d'être Touareg. Le poids de l'imaginaire collectif est en ce sens déterminant. En effet, les Touaregs construisent leur sentiment d'appartenance à une même nation, la temust, en évoquant leur histoire commune. [...]
[...] Les années 1990 sont des années de transition démocratique ; les régimes autoritaires se libéralisent petit à petit, des Conférences nationales se mettent en place, des élections sont organisées, un nouvel espace d'expression s'ouvre pour les populations civiles. Un nouvel espoir naît au sein des groupes jusqu'à présent marginalisés. Néanmoins, et c'est là que le bât blesse, cette ouverture politique ne s'est pas accompagnée d'une intégration de tous les groupes identitaires. La forte ethnicisation du jeu politique continue à exclure les minorités du pouvoir, générant nécessairement de la frustration. Les Touaregs ont tendance à s'afficher comme un peuple martyr, victime du sort, de l'acharnement des autres et de l'histoire, justifiant ainsi la prise des armes. [...]
[...] Issouf ag Maha, Touaregs du XXIe siècle. [...]
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