Dans la nuit du 30 au 31 août 1935, un mineur du Donbass, Alexeï Stakhanov, extrait en six heures de travail 102 tonnes de charbon, soit six fois la norme de production. Dans les mois qui suivent, les records de productivité se multiplient dans toutes les branches de l'industrie et à travers l'URSS, fruits des efforts de travailleurs de pointe. Du moins, c'est ainsi que les médias soviétiques de l'époque présentent les débuts du stakhanovisme. En réalité ces records sont orchestrés depuis l'origine par le Parti, localement pour les premiers, puis très vite de manière systématisée par le régime stalinien au plus haut niveau. C'est que ce mouvement apparaît pour les dirigeants soviétiques comme un moyen pour remédier aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans cette période d'industrialisation accélérée : faible productivité au sein d'usines peuplées d'ouvriers peu ou pas qualifiés dans leur grande majorité, aux comportements déviants dus au mécontentement causé par la chute de leur niveau de vie et au rejet d'un cadre de travail très différent du cadre paysan, crise de l'encadrement intermédiaire dans les entreprises.
Le stakhanovisme recouvre plusieurs éléments. Il s'agit en premier lieu de records de productivité soigneusement mis en scène par le Parti au cours desquels un travailleur ou une équipe de travailleurs produit pendant un temps plus ou moins long (qui peut aller d'une journée de travail à plusieurs jours) beaucoup plus que la norme de production en vigueur. Il s'agit ensuite de conférences, de campagnes médiatiques destinées à faire du mouvement stakhanoviste le moyen d'instaurer de nouvelles normes de comportement dans l'organisation du travail et de forger des nouvelles représentations de l'économie soviétique, du travail et de l'ouvrier, conformes à l'idéologie stalinienne, mais aussi d'un ensemble de stimulants matériels destinés aux travailleurs s'engageant dans le mouvement.
Il convient de se demander quels ont été les usages du stakhanovisme par le régime stalinien, quels moyens ont été mis en place pour atteindre les objectifs poursuivis, si ces objectifs ont été réalisés. A cette fin, une première partie sera consacrée aux logiques du stakhanovismes,économique, sociale et politique, une seconde à la campagne stakhanoviste, ses méthodes, ses résultats, l'évolution de ses représentations.
[...] Le Stakhanovisme Bibliographie : Davies, R. W., Khlevnyuk, Oleg, Stakhanovism and the Soviet Economy Europe-Asia Studies, vol september 2002, pp. 867-903. Depretto, Jean-Paul, Les ouvriers en URSS : 1928-1941, Paris, Publications de la Sorbonne : Institut d'Etudes Slaves Lewin, Moshe, La formation du système soviétique. Essais sur l'histoire sociale de la Russie d'entre-deux-guerres, Paris, Editions Gallimard Sapir, J., Travail et travailleurs en URSS, Paris, La Découverte, Collection Repères Sigelbaum, Lewis, Les ouvriers et les communistes en 1917-1939 in Michel Dreyfus et alii., Le siècle des communismes, Paris, Editions de l'Atelier/Editions Ouvrières Shlapentokh, Vladimir, L'image du stakhanovisme : cinquante ans de variations L'autre europe, Werth, Nicolas, Un Etat contre son peuple, violence, répressions, terreur en Union soviétique in S. [...]
[...] Sapir) Les difficultés économiques et le déclin de la production sont imputés aux cadres, ingénieurs, techniciens et dirigeants, accusés de conservatisme voire de sabotage, d'autant plus que certains critiquent les effets négatifs des techniques stakhanovistes sur la production. La campagne stakhanoviste se couple ainsi à une campagne contre le sabotage. Au cours du premier semestre de 1936, plus de 14000 cadres de l'industrie sont arrêtés pour sabotage. La campagne stakhanoviste permet ainsi à Staline d'accentuer sa politique de répression. (R. W. Davies, O. Khlevnyuk, V. Shlapentokh, N. [...]
[...] Davies, O. Khlevnyuk) C'est une des logiques dont procède le mouvement stakhanoviste que d'être un moyen d'émulation socialiste dans le travail, afin d'améliorer des taux de productivité qui demeurent bien inférieurs à ceux des pays industrialisés (USA et Allemagne notamment). Le stakhanovisme s'inscrit dans un contexte dans lequel on cherche par tous les moyens à motiver les ouvriers et à augmenter leur productivité, par la répression, par les stimulants matériels et par l'exaltation du travail dans l'idéologie stalinienne. Le stakhanovisme, en tant qu'instrument au service de l'idéologie officielle afin de produire de nouveaux comportements chez les travailleurs industrielle, a une fonction normative, mais également performative. [...]
[...] L'mage du stakhanovisme évolue donc à la fin des années 50 et dans les années soixante. L'idée du caractère spontané du mouvement disparaît, ainsi que tout ce qui présentait auparavant le stakhanovisme comme un mouvement dirigé contre les cadres et les ingénieurs. Les motivations prêtées aux stakhanovistes évoluent : les travaux passent sous silence les motivations idéologiques et altruistes, et ne reconnaissent plus aux stakhanovistes que des motivations matérielles. En réalité, après le XXème Congrès du Parti, le stakhanovisme, étroitement identifié à Staline, est occulté. [...]
[...] Les seuls cas de progrès sont le résultat non pas de techniques révolutionnaires de production, mais de changements élémentaires tels que l'accentuation de la division du travail. (V. Shlapentokh, L. Siegelbaum, N. Werth) Les avantages matériels liés au statut de stakhanoviste frustrent les autres ouvriers qui n'en bénéficient pas, et le stakhanovisme se révèle bien souvent un simple moyen d'augmenter les cadences et les normes de productivité. Par conséquent les stakhanovistes s'attirent fréquemment la haine, voire les coups des autres travailleurs. (L. Sigelbaum, J. [...]
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