Le monde chrétien est placé sous le signe de la faute originelle dont chaque homme porte le stigmate. Cette tendance profonde de la civilisation occidentale paraît aujourd'hui exacerbée. En effet, si l'on en croit François Ewald, nous serions dans un temps de repentance, dans lequel chaque institution détentrice d'une parcelle de pouvoir se croit obligée de se repentir. Cette repentance sans fin se présente comme la conséquence des récents traumatismes que sont la Seconde Guerre Mondiale et le nazisme, le communisme, et la décolonisation.
Or sommes nous responsables des fautes de nos pères ? La notion de responsabilité peut être appréhendée avant tout comme une notion juridique définie dans l'article 1382 du Code civil comme : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Interroger la notion de responsabilité, c'est ainsi directement poser la question de l'imputabilité de la faute, dans notre questionnement initial, il s'agit de se demander si une responsabilité peut être imputée aux héritiers - dans leur collectivité - des auteurs d'une faute : peut-on être responsable d'un manquement que l'on n'a pas engendré mais dont on est dépositaire ?
Considérant que s'interroger sur la responsabilité des descendants des « fauteurs » c'est postuler la pérennité de la faute, ou, tout au moins de ces conséquences, nous tenterons d'envisager dans quelle mesure nous échoit la responsabilité de ces fautes. Nous pourrons tout d'abord examiner la portée d'une responsabilité rétrospective, puis nous verrons que cette responsabilité se conjugue au présent. Toutefois, pour ne pas s'avérer inopérante voire dangereuse, cette responsabilité devra être nuancée.
Comme nous l'avons vu, la responsabilité est avant tout une notion juridique : est responsable celui qui doit répondre de ses actes ou de ceux des personnes dont il a la charge devant la justice. A l'échelle collective cette responsabilité est assurée par l'Etat, or celui-ci est-il responsable des fautes commises par les citoyens ou les gouvernements qui l'ont précédé ? (...)
[...] L'Etat s'incarne certes dans la pratique dans ses gouvernants et son administration, mais s'il est véritablement Etat, il ne se limite pas à cela, il est aussi une sorte d'entité abstraite, peut-être transcendante et en ce sens, de Gaulle ou Lénine ont raison, Vichy ne saurait être la France, l'URSS (le nom n'est que de 1922) la Russie des tsars car l'enjeu n'est pas uniquement celui des hommes, mais également celui de la légitimité et de la source du droit (le droit de Vichy est aboli) Sauf qu'il ne l'est pas : le IIIe Reich est juridiquement un régime d'exception (sous l'art.48 de la Constitution de Weimar), sans base légale ni constitutionnelle. En fait, le problème central est ailleurs : les peuples ou l'Etat, telle est la question. [...]
[...] Ainsi, si, certes, la responsabilité des descendants est acquise, celle-ci ne doit pas se poser en obstacle de l'évolution au présent. C'est en ce sens que l'on peut considérer la dangerosité d'une imprescriptible responsabilité sous entendue dans la responsabilité imputée aux descendants. Cette dernière fige certains acteurs (pays) dans des rôles déterminés par l'histoire et empêche toute nouveauté. Et, à l'inverse, elle peut pécher par anachronisme c'est-à-dire lire les fautes passées à la lueur des tensions présentes conduisant alors entre autre à ce qu'Henry Rousso définit comme une judiciarisation du passé. [...]
[...] On peut parler d'une responsabilité corrective. En effet les descendants dans la mesure où ils héritent de la situation créée par leurs pères, sont responsables des fautes de ces derniers puisqu'il leur revient de poursuivre l'œuvre de leurs pères et dans le cas de leurs fautes, de les corriger : la responsabilité est ainsi la clé de la reconstruction. L'on peut rappeler que la notion de responsabilité collective a été formée en 1946 par Karl Jaspers pour être pédagogiquement utile à savoir pour œuvrer à la reconstruction allemande[6]. [...]
[...] [ ] Il y a là, c'est indiscutable, une faute collective. Malgré les objectifs passablement politiques de ces diverses déclarations, on ne peut ignorer le fait que nous sommes responsables des fautes de nos pères dans la mesure où celles-ci peuvent nous être imputées judiciairement ou, comme nous venons de le voir moralement. Cette dernière responsabilité peut être définie comme découlant d'une perception. En effet l'Etat allemand, par exemple, en tant que successeur légitime du Reich[4] est perçu par l'ensemble de la communauté internationale comme responsable des fautes de son prédécesseur. [...]
[...] On peut tout d'abord considérer que l'Etat est responsable des fautes de ses pères devant la justice. En effet, selon le principe de la continuité de l'Etat, ce dernier se trouve responsable des fautes passées, on peut par exemple observer que depuis sa création en 1949, l'Etat allemand de l'Ouest s'est toujours présenté comme le successeur légal du Reich. Cette responsabilité étatique s'exerce ainsi devant la justice, plusieurs exemples permettent d'en rendre compte : aux Etats-Unis, au terme d'une longue bataille judiciaire, les Etats de Floride et d'Oklahoma ont récemment dû indemniser les survivants noirs d'un massacre commis en 1923 et d'une émeute réprimée en 1921. [...]
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