Nous retrouvons l'opacité de l'administration dans le fait que la Loi étant vide, on ne sait pas ce qu'elle est. Le fait que le sujet moderne doive créer ses propres règles sans garantie et sans fondement implique le fait que la Loi est obscure et culpabilisatrice. Zizek développe cet argument en reprenant un texte de Deleuze tiré de se Présentation de Sacher-Masoch, qui entend montrer la nouveauté radicale du concept de Loi chez Kant.
« La loi n'y dépend plus du Bien, mais au contraire le Bien de la loi. Cela signifie que la loi n'a plus à se fonder, ne peut plus se fonder sur un principe supérieur d'où elle tirerait son droit. Cela signifie que la loi doit valoir par elle-même et se fonder sur elle-même, qu'elle n'a donc pas d'autre ressource que sa propre forme. (…) en faisant de LA LOI un fondement ultime, Kant dotait la pensée moderne d'une de ses dimensions principales : l'objet de la loi se dérobe essentiellement. (…) Car le plus clair, c'est que LA LOI, définie par sa pure forme, sans matière et sans objet, sans spécification, est telle qu'on ne sait pas ce qu'elle est, et qu'on ne peut pas le savoir. Elle agit sans être connue. Elle définit un domaine d'errance où l'on est déjà coupable, c'est-à-dire où l'on a déjà transgressé les limites avant de savoir ce qu'elle est : ainsi d'Œdipe. Et la culpabilité et le châtiment ne nous font même pas connaître ce qu'est la loi, mais la laissent dans cette indétermination même, qui correspond comme telle à l'extrême précision du châtiment. »
Le fait de la Loi précédant toujours un contenu que le sujet ne pourra pas connaître (puisque la Loi n'est pas soutenue par une métanorme), celui-ci ne peut mesurer ses actes que par rapport à la forme vide de la Loi et non à la Loi en tant que telle (au principe qui la légitimerait). Puisqu'il est impossible pour le sujet d'avoir la certitude qu'il faut suivre telle ou telle norme, puisqu'il n'a pas la garantie extérieure que le contenu de la Loi est juste, il demeure à-priori coupable dans la mesure où il ne sait pas ce qu'il est susceptible d'enfreindre.
[...] Elle agit sans être connue. Elle définit un domaine d'errance où l'on est déjà coupable, c'est-à-dire où l'on a déjà transgressé les limites avant de savoir ce qu'elle est : ainsi d'Œdipe. Et la culpabilité et le châtiment ne nous font même pas connaître ce qu'est la loi, mais la laissent dans cette indétermination même, qui correspond comme telle à l'extrême précision du châtiment. Le fait de la Loi précédant toujours un contenu que le sujet ne pourra pas connaître (puisque la Loi n'est pas soutenue par une métanorme), celui-ci ne peut mesurer ses actes que par rapport à la forme vide de la Loi et non à la Loi en tant que telle (au principe qui la légitimerait). [...]
[...] Ses actes sont couverts par le grand Autre, il n'est responsable de rien. En cela, le sujet totalitaire est pervers et obéit à la logique sadique : il n'est jamais responsable ou coupable puisqu'il obéit à une nécessité, à la volonté de l'Autre, il jouit de ce qu'on lui impose. Là où précisément Kant se détache radicalement de Sade, c'est lorsqu'il affirme qu' accomplir son devoir est inexcusable autrement dit, invoquer son devoir pour se dédouaner de toute responsabilité est inenvisageable (en cela l'éthique kantienne est, affirme Zizek, antitotalitaire)[17]. [...]
[...] Le sujet des rapports marchands obéit directement à l'injonction surmoïque de la jouissance (c'est pourquoi le capitalisme digère aussi bien toute transgression) alors que le sujet démocratique interroge et apostrophe toujours le vide de la Loi. La jouissance en elle-même est illimitée, c'est un excès qu'il faut réguler. Le capitalisme avancé n'offre pas au sujet une identité symbolique mais une identité imaginaire (qui lui permette d'imaginer les différentes manières dont il peut jouir). Or, l'injonction surmoïque à jouir renverse le Tu peux parce que tu dois ! de Kant en Tu dois parce que tu peux ! [...]
[...] (Zizek, La marionnette et le nain, p.79). Zizek, La parallaxe, p.242. Lorsque la jouissance constitue un devoir, l'injonction à jouir constitue un obstacle à la jouissance et le sujet cherche à s'y soustraire. Une voie qui permet d'échapper à cette injonction consiste à ce que le sujet déplace sa jouissance vers l'autre afin qu'il jouisse pour lui. La désintégration de l'autorité symbolique patriarcale, le "Nom-du- Père", donne naissance à une nouvelle figure du Maître, à la fois un simple égal, un faux jumeau, un double imaginaire et qui, à cause de tout cela précisément, est doté fantasmatiquement de la dimension du Mauvais Génie. [...]
[...] Songeons à l'exemple proverbial du professeur sévère et sadique qui soumet ses élèves à une discipline et une torture impitoyable ; son excuse pour lui-même (et pour les autres) est celle-ci : "Moi-même, je trouve difficile d'exercer une telle pression sur les pauvres enfants, mais que puis-je faire ? C'est mon devoir C'est ce que l'éthique psychanalytique interdit totalement : en elle, je suis pleinement responsable non seulement de faire mon devoir, mais tout autant de déterminer en quoi il consiste. (Zizek, Robespierre : entre vertu et terreur, p.40). [...]
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