Un « monument massif de science politique et de droit public, rébarbatif et sans fenêtres, bardé d'érudition et dénué de toutes grâces ». Ainsi décrivent Chevallier et Guchet Les Six Livres de la République de Jean Bodin, publié en 1576. Pourtant, l'ouvrage a fait date. Bien qu'aujourd'hui relativement oublié de la culture populaire à l'inverse d'un Machiavel, ce « monument » donc qu'est La République, comme on l'abrégera dans cet exposé, fut en effet un véritable succès du vivant même de son auteur, considéré aujourd'hui comme l'un des pères de l'Etat moderne (plusieurs traductions seront ainsi réalisées jusqu'à sa mort en 1596). Cette parution est un moment fort de la philosophie politique : 10 ans après sa Méthode pour étudier facilement l'histoire (où il cherchait à tirer de l'histoire un esprit des lois), Bodin définit le concept qui lui semble au coeur de l'Etat, à la clé de sa survie : la souveraineté (...)
[...] Le contexte historique était tel qu'il a fallu attendre un affaiblissement du système féodal, l'évolution des revendications d'indépendance et de plénitude du pouvoir politique sur un territoire donné, brisant ainsi le dogme de l'unité impériale [avec appui canonistes (divisio regnorum) et légistes (imperator in regno autant de facteurs qui ont donné lieu à la construction de la souveraineté au dépend de la suzeraineté. Cette distinction sémantique souveraineté/suzeraineté remonte au XIVe siècle, ce qui montrerait que Bodin s'inscrit non pas dans une rupture nette mais bien sur une évolution allant en s'accélérant à partir des 12e/13e siècle. La suzeraineté était une position au sommet de la pyramide féodale qui ne donnait aucun pouvoir direct sur les sujets du royaume. La souveraineté telle que retrouvée dans les écrits du 12e siècle désigne une puissance non vassale à autorité directe sur sujets. [...]
[...] Bodin sait donc se plier aux nécessités politiques de son temps, pourvu qu'elles aident à sauver l'ordre. Si la Methodus fut rédigée en latin, langue savante, la République fut écrite en langue populaire, le français. Bodin veut ici rendre accessible son œuvre pour pallier au péril de la dislocation d'un État déjà fortement ébranlé, bien qu'il s'adresse évidemment au Roi pour l'inspirer dans ses réformes, puisque c'est lui seul qui détient la souveraineté. Il s'agit de stabiliser les relations au sein même du pouvoir pour éviter les conflits à la tête d'un Etat qui doit montrer continuité et force : l'objectif est la sécurité de tous. [...]
[...] Hotman, théoricien protestant, appuie ce mouvement de remise en cause de la légitimité du souverain en reconstruisant une théorie historique du constitutionnalisme français : la monarchie aurait été élective à l'origine ! Le roi devrait donc se tenir dans les limites de la loi, tandis que le peuple aurait la possibilité de le démettre de ses fonctions. C'est une théorie qui appelle donc à la destitution du roi, à la révolte. Bodin s'insurge et s'inquiète, et écrit la République, persuadé que seul un changement de situation politique peut sauver la République. Quelle légitimité pour Bodin alors ? [...]
[...] Le texte de Jean Bodin respire les allusions à la vertu et à la spiritualité. S'il se détache des déterminants bibliques, il n'en reste pas moins théoricien des lois de la nature : si les barbares ne sont pas une République, c'est parce qu'il n'ont pas de droit gouvernement selon les lois de la nature. Mais surtout, la question de la vertu reste au cœur de son propos, et notamment dans sa description du souverain de Bien. Bodin l'admet lui-même : il n'est pas impossible de faire un bon prince d'un voleur, ou d'un corsaire un bon roi Or ces deux catégories n'ont pas de vertu. [...]
[...] Ainsi, jusqu'à un certain degré de succès, c'est la survie qui semble prendre le dessus. Il est intéressant d'ailleurs de noter que cette liste de critères est particulièrement ambitieuse, même si réalisable. Et ce n'est qu'une fois ce seuil atteint que l'Homme peut se rapprocher des questions de vertu et de sagesse, pour se tourner vers la beauté de la nature, et de Dieu : il contemple splendeur, beauté, forces des lumières célestes pour ensuite en déduire que Dieu était une quasi-conclusion de la félicité humaine . [...]
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