On a coutume, à tort, d'attribuer à Montesquieu toute la théorisation de la séparation des pouvoirs. À tort, d'abord parce que d'autres bien avant lui se sont penchés sur la classification des régimes par pouvoirs ou puissances – Aristote le premier. Ensuite, parce que l'expression même de séparation des pouvoirs est postérieure à l'œuvre de Montesquieu, est en réalité une invention de Sieyès ; Montesquieu a davantage théorisé sur la distinction et surtout, la balance des pouvoirs, mais sans introduire la notion d'indépendance.
Charles Eisenmann dénonce le « mythe de la séparation des pouvoirs », pointant ces déformations qui font attribuer à Montesquieu une Trias Politica qui aurait influencé la pensée politique au point que, aujourd'hui, une démocratie idéale se définirait par la réalisation de la séparation entre pouvoirs exécutif, législatif et juridique, dans le but d'atteindre une garantie parfaite des libertés. Selon Eisenmann, donc, non seulement Montesquieu n'est pas à l'origine de ce concept tel qu'il nous parvient aujourd'hui, mais ceux qui le sont (les juristes de la Révolution Française) n'ont inventé qu'un « modèle théorique imaginaire ».
L'opinion commune, de même que l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, consacre la séparation des pouvoirs, comme symbole démocratique suprême et comme meilleure protection contre la dictature ou le régime d'assemblée. Mais nul régime existant ou ayant existé n'est aujourd'hui capable de fournir l'exemple parfait de cette séparation des pouvoirs. Le « modèle théorique imaginaire » semble donc irréalisé, et irréalisable. Mais l'expression même de séparation des pouvoirs, sans plus de précision, induit toute une typologie dépassant le tryptique traditionnel ; et l'affirmation de l'impossibilité du « mythe » de la Trias Politica est loin de condamner la réalisation d'un régime garantissant les libertés – encore moins de la démocratie.
[...] La trias politica introuvable La théorie de la séparation des pouvoirs, que l'on privilégie l'approche de Locke, Montesquieu ou encore Rousseau, n'est certes pas une invention absurde et sans prise sur la réalité. Elle est issue de l'observation et de l'analyse des régimes, notamment du parlementarisme britannique ; elle modélise une distinction des fonctions qui existe de fait, et propose une organisation correspondante conçue comme idéale : la séparation organique et la balance des pouvoirs. Elle présente donc une dimension empirique, et une dimension théorique. Même si les concepts présentés semblent devoir être appliqués pour le meilleur, la pratique et l'Histoire mettent en évidence leurs limites. A. [...]
[...] - La voix du peuple Le peuple a déjà été mentionné comme source du pouvoir. Par conséquent, il est un pouvoir. Bien sûr, un pouvoir constituant, mais aussi, et par extension, un pouvoir a posteriori sur la manière dont le pays est dirigé. Il s'agit à présent d'expliciter quelle est la nature de ce pouvoir. C'est d'abord le pouvoir de renverser. S'il a donné la légitimité à une minorité dirigeante par son consentement, il peut la reprendre par son désaccord. [...]
[...] Or, l'équilibre ne peut être atteint seulement par l'attribution à chaque organe d'un champ de compétence, si ces organes ne sont pas limités au sein même de leur champ. Faire une loi n'est pas s'assurer de son application ; et si le législatif n'a aucune prise sur l'exécutif, tous les textes adoptés n'ont de valeur que dans la mesure exacte où ils sont respectés par le gouvernement. Définir des champs séparés de compétence ne mène à rien s'il n'y a aucun contact entre les organes qui en sont chargés : cela revient à une toute-puissance de chacun des organes dans son domaine. [...]
[...] La nécessité de fonder et gouverner une nation commande que ces compétences soient distribuées aux divers corps de l'État. Ici, la séparation n'est que fonctionnelle, aucun organe n'est chargé d'un domaine spécifique à part entière. Les corps de l'État vont de concert - Séparation organique : trois pouvoirs autonomes Mais si l'attribution de ces compétences reste indéterminée, qu'est-ce qui légitime qu'un organe plutôt qu'un autre se charge d'une tâche particulière ? Les domaines de compétences doivent être définis au préalable, à défaut de quoi chaque corps de l'État peut revendiquer tous types de pouvoirs, et la stabilité est alors gravement menacée, puisque tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser On aboutirait à une société non plus régie par le droit, mais par ce que Rousseau appelle le droit du plus fort En adéquation avec le modèle théorique tel que défini ci-dessus, Sieyès notamment imagine une séparation de fait, organique. [...]
[...] Montesquieu, ibid. Livre XI, chap. IV Rousseau, Le Contrat social, Livre chap. III Aristote, ibid. Locke, Two treaties of Government Montesquieu, ibid. Livre XI, chap. II à IV Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'État, Sirey, Paris 1922. [...]
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