Après la guerre, le droit de vote des femmes paraît inéluctable et nombreux sont ceux, qui en plus des suffragistes et des féministes d'avant-guerre, le réclament pour l'attitude remarquable que les femmes ont eu pendant le conflit. En France, la proposition de loi est votée par l'Assemblée Nationale le 8 mai 1919 (à 78% pour le suffrage intégral), et elle est enfin examinée par le Sénat le 7 novembre 1922, qui doit voter le 21 novembre 1922 la discussion sur le vote des femmes, préalable à tout vote. Ce sont donc deux extraits de discours de deux sénateurs, issus de la séance du 21 novembre que je vous propose de commenter. Les sénateurs en question sont M. Paul Régismanset, soixante-dix ans, sénateur de Seine-et-Marne et Président de la commission, & M. Joseph Massabuau (1862-1939) (fondateur de La Famille française), sénateur de l'Aveyron, issus de l'Union Républicaine.
Ces paroles nous sont connues car elles ont été retranscrites lors des débats et sont donc des propos contemporains. Ils expriment la position et les raisons pour lesquelles des sénateurs sont hostiles au droit de vote des femmes. Comme le refus l'a emporté, nous pouvons considérer qu'il s'agit de l'opinion de la majorité.
En 1922, le vote des femmes a été reconnu en Russie en 1917, en Angleterre en 1918 pour les femmes de plus de 30 ans, au Luxembourg en 1919, aux USA en 1920 ; le plus humiliant pour les féministes est le droit de vote aux Allemandes, accordées en 1919 par la République de Weimar. En France, le mouvement suffragiste est actif, reprenant le combat d'avant-guerre ; manifs, meetings et action d'éclat s'enchaînent avec le soutien d'associations et d'hommes politiques. Le 22 novembre, tout paraît possible et nous avons là deux sénateurs opposés au droit de vote qui s'expriment. Quels vont être leurs arguments ? Qu'est-ce qu'ils vont révéler sur leur vision de la femme et des féministes ?
Nous verrons tout d'abord le mépris des sénateurs pour la question du vote des femmes, puis leur vision de la femme et enfin leur antiféminisme.
[...] Le discours de Régismanset s'inscrit dans cette tradition du refus du débat. Utilisation d'un journal féminin comme argument Nous sommes au Sénat, afin de débattre de la possibilité du vote des femmes, on s'attend donc à des arguments réfléchis, politiques, des exemples concrets et précis. Mais qu'utilise donc Paul Régismanset pour appuyer ses propos ? Il utilise un journal féminin : Ouvrez un journal, si j'ose dire corporatif. Lisez la petite correspondance de ces revues de mode (l. 10-10). Cette plaisanterie sur le corporatif nous montre qu'il s'agit d'un journal féminin, parlant de mode, de cuisine, d'enfants et de courrier du cœur, mais le sénateur prend ça comme l'expression d'un métier : celui d'être épouse et mère, et partant de ce principe de corporation, qu'il étend à toutes les femmes : auxquelles sont abonnées nos travailleuses, petites bourgeoises de province (l.11). [...]
[...] Comme il dénigre le suffrage féminin, il glorifie par opposition cette maternité : le respect porté au foyer permet d'interdire la vie publique. Depuis la fin de la guerre, la France connaît une politique nataliste et familialiste (dès 19, congrès annuel de la natalité), les femmes se doivent donc d'avoir des enfants et de les élever et ce travail corporatif occupent donc tout le temps, puisque Massabuau estime que ce ne sont pas les mères qui réclament le vote. Il oublie cependant que des féministes sont mères, et qu'il y a tout un courant, le féminisme réformiste représenté par le CNFF, qui défend la famille mais cependant souhaite le droit de vote. [...]
[...] En France, la proposition de loi est votée par l'Assemblée Nationale le 8 mai 1919 (à 78% pour le suffrage intégral), et elle est enfin examinée par le Sénat le 7 novembre 1922, qui doit voter le 21 novembre 1922 la discussion sur le vote des femmes, préalable à tout vote. Ce sont donc deux extraits de discours de deux sénateurs, issus de la séance du 21 novembre que je vous propose de commenter. Les sénateurs en question sont M. Paul Régismanset, soixante-dix ans, sénateur de Seine-et- Marne et Président de la commission, & M. Joseph Massabuau (1862-1939) (fondateur de La Famille française), sénateur de l'Aveyron, issus de l'Union Républicaine. Ces paroles nous sont connues car elles ont été retranscrites lors des débats et sont donc des propos contemporains. [...]
[...] Nous verrons tout d'abord le mépris des sénateurs pour la question du vote des femmes, puis leur vision de la femme et enfin leur antiféminisme. I - Le mépris & la peur face au droit de vote des femmes Régismanset était en charge de la commission chargée d'étudier la proposition de loi de l'Assemblée. Elle vota à 8 contre 5 le refus de la proposition et Alexandre Bérard en écrivit le rapport. Les ligues féministes protestèrent qu'elles n'avaient pas été invitées pour argumenter sans recevoir de réponse. [...]
[...] Les bons mots comme si j'ose dire corporatif (l.10) provoquent des rires complices entre les parlementaires, et il est sur que pendant le discours de Régismanset, il a du recueillir rires et applaudissements On peut rire car le suffrage des femmes n'est pas une question importante car les sénateurs n'y croient pas, c'est bien trop improbable ! En face, les féministes répondent toujours sérieusement à ces quolibets, ce qui les met en échec face au poids d'un bon mot ou d'une caricature. L'absence de débat politique ou le refus d'accroître un pouvoir déjà grandissant Plus loin que les bons mots et le mépris, que traduit ce refus de débattre ? La résistance du Sénat traduit la crainte d'une émancipation déjà en marche et la politique doit rester un privilège masculin. [...]
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