« Dans notre subconscient, au cœur de notre être, se trouvent des priorités de grande puissance. C'est pourquoi nous réagissons avec enthousiasme quand nous entendons le slogan « la Russie se relève ». Ce mythe ne disparaîtra pas. Il ne fera que s'adapter aux époques et aux circonstances, et plus important, aux intérêts et aux visions de nos leaders » affirme Viktor Sheinis, spécialiste de la construction historique de la puissance russe. A travers ces mots, il semble indiquer que la puissance russe serait une constante, un élément structurel et structurant de notre monde. Or, la chute du bloc soviétique et la décennie qui a suivi ont été caractérisées par un affaiblissement constant de la Russie. Le président Eltsine a tenté d'amorcer la transition de la Russie vers l'économie de marché à travers une « thérapie de choc » passant par une libéralisation brutale des prix et une vague de privatisations de masse : la Russie s'est rapidement retrouvée confrontée à une inflation sévère et chronique et à une dette vertigineuse, situation qui a culminé avec la crise économique de 1998. Pendant cette décennie, le PIB russe a été divisé par deux, l'influence de la Russie dans les pays de l'ex-URSS a considérablement reculé et l'Etat russe a été très affaibli par un processus de décentralisation incontrôlé. Cette chute de la Russie a été tellement brutale qu'au début des années 2000, de nombreux spécialistes ont évoqué la fin de la puissance séculaire russe : Jacques Lévesque, politologue spécialiste de l'Union Soviétique, a ainsi affirmé en 2001 que « l'ex-superpuissance a raté le train de la globalisation et s'est marginalisée à l'échelle internationale ». Aussi pouvons-nous nous demander si, une décennie plus tard, ce constat est toujours valide : la Russie a-t-elle réussi à surmonter la crise des années 1990s en s'insérant dans l'espace mondial d'aujourd'hui ? Quel est le poids de la Russie dans l'espace international actuel ?
[...] Ainsi, Alexandre II initia une profonde réforme militaire visant à moderniser considérablement l'armée russe et qui fut conservée et poursuivie par ses deux successeurs. Nombreux historiens affirment d'ailleurs que cette réforme fut la seule à réussir pendant la période précédent la Première Guerre mondiale. Cette importance de l'outil militaire comme vecteur de puissance se retrouva bien entendu pendant la période de l'Union Soviétique, tout particulièrement dans le cadre de la course aux armements qui jalonna le déroulement de la Guerre froide. [...]
[...] Cependant, la Russie ne contracterait pas le syndrome hollandais. L'utilisation du subjonctif ici suggère ainsi que la malédiction des ressources constitue une menace latente pour la Russie, qui peut, à tout moment subir les terribles conséquences d'une économie structurée par la rente énergétique. Ainsi, non seulement la diplomatie énergétique russe se heurte à de nombreux obstacles se dressant à l'encontre de sa stratégie d'internationalisation des exportations d'hydrocarbures russes, mais elle est aussi constamment menacée par le syndrome hollandais, véritable épée de Damoclès. [...]
[...] Ainsi, le secteur énergétique russe, monopolistique, en tissant de tels liens a établi un clientélisme énergétique important, notamment dans les pays de l'est-européen, fortement dépendant des hydrocarbures russes. La Russie a donc considérablement investi dans sa diplomatie énergétique afin d'amplifier la dépendance énergétique de l'Europe : étant désormais pour l'Europe un acteur énergétique incontournable, la Russie voit dès lors sa puissance reconnue par l'Europe. Il s'agit donc là bien d'une relation construite par intérêt : cette recherche d'une reconnaissance de la puissance russe par l'Europe a suscité un investissement considérable de la part de la Russie, allant même jusqu'à engendrer des sous- investissements graves dans les autres secteurs russes ainsi que de fortes limitations dans le développement économique et dans la politique environnementale. [...]
[...] D'autre part, la Chine constitue un autre obstacle à la redirection des exportations russes vers les marchés asiatiques dans la mesure où les prix pratiqués par la Russie sont moins intéressants pour la Chine que le charbon, d'autant plus que le réseau gazier de distribution interne chinois est peu développé. En outre, la stratégie d'internationalisation du secteur gazier russe se heurte à la libéralisation croissante de son principal marché d'exportation : en effet, le marché gazier européen s'ouvre de plus en plus à la concurrence du fait du souci de l'UE de diminuer sa dépendance aux hydrocarbures russes ; ainsi, le secteur gazier russe pourrait être confronté à une chute des prix de l'énergie sur le marché européen du fait de cette ouverture à la concurrence. [...]
[...] Les défauts et insuffisances des vecteurs traditionnels de la puissance russe que constituent l'outil militaire et l'outil technologique semblent présenter la Russie comme une puissance déclinante. En revanche, la construction dangereuse d'une diplomatie énergétique et la tentative de prendre part au processus de régionalisation caractérisant l'espace mondial aujourd'hui rapproche davantage la Russie des puissances émergentes. Puissance émergente ou déclinante au sein de l'espace mondial ? La Russie s'est en réalité imposée comme un acteur tout à fait à part sur la scène internationale. [...]
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