Tranchant sur la précarité de l'Assemblée nationale, l'autre caractère du Parlement de la Ve République en France tient à la pérennité du Sénat. Le Sénat sous la Ve République repose sur une longue pratique du bicaméralisme en France depuis près d'un siècle et demi. La présence d'une seconde Chambre au sein du Parlement français a d'abord constitué un contrepoids à l'accroissement de la majorité républicaine à la Chambre des députés. Et c'est pour essayer de l'endiguer que furent créés, au début de la IIIe République, les 75 sièges sénatoriaux inamovibles pourvus par l'Assemblée nationale élue en 1871. Puis la républicanisation du Sénat, opérée par la révision constitutionnelle du 14 août 1884, eut pour objet d'assurer au sein de la seconde assemblée la représentation des collectivités territoriales en même temps que de renforcer l'assise des nouveaux notables. Cette assise leur permit de faire obstacle, jusqu'à la fin de la IIIe République, à de nombreuses réformes, notamment sur le vote des femmes. Elle les conduisit même à renverser huit gouvernements, dont ceux du Front populaire en 1937 et 1938. Selon Chantebout : « Le Sénat sous la IIIe République a été le bastion du conservatisme républicain ». L'influence du Sénat s'exerça de telle sorte que l'on a pu dire de la IIIe République qu'elle était avant tout « un Sénat ». À tel point que la gauche entendra, sous la IVe République, en réduire considérablement le poids. Les auteurs du projet de Constitution d'avril 1946 proposèrent même de supprimer purement et simplement la seconde assemblée. Mais l'échec du référendum du 5 mai 1946 conduisit leurs successeurs à en maintenir l'existence, sous une forme atténuée, dans la Constitution du 27 octobre 1946. Et la seule révision constitutionnelle qui eut lieu sous la Ive République, le 7 décembre 1954, eut pour effet d'en rétablir certaines prérogatives au profit du Conseil de la République.
La Constitution du 4 octobre 1958 poursuit cette restauration, sans pour autant l'achever. En effet, si le Sénat de la Ve République voit ses attributions étendues, elles ne recouvrent pas tout l'héritage de la IIIe République. En qualité d'organe du Parlement (art. 24 de la Constitution), il représente le peuple et exerce la souveraineté nationale en son nom (art.3). Toutefois, le Sénat a été conçu d'emblée comme une des pièces maîtresses dans le cadre de la rationalisation du parlementarisme. Selon la vision gaullienne, le Sénat de la Ve République devrait même représenter un instrument gouvernemental, mais dans la pratique il n'en est rien, comme s'il était toujours dans les plans du Sénat de faire échouer la volonté des constituants. Le bicaméralisme vise par ailleurs à diviser le Parlement et renforcer la position de l'exécutif. Toutefois, le principe démocratique semble approfondi au travers du double examen et de l'affinement des lois.
Quels sont les pouvoirs du Sénat aujourd'hui en France ? Cette institution n'est-elle que la forme moderne de l'héritage parlementaire français antérieur ou un véritable acteur du système politique ? Souvent contesté parce que son rôle est plus faible que la chambre basse, le Sénat répond surtout à une volonté des constituants de rationalisation du parlementarisme à la française (I). Par ailleurs, le Sénat apparaît aussi dans la pratique comme un facteur de déséquilibre institutionnel (II).
[...] Et depuis lors, cette procédure a été utilisée deux fois par Raymond Barre, et plusieurs fois par Jacques Chirac sous la cohabitation. Michel Rocard, d'une manière inédite pour un Premier ministre de gauche, a même sollicité et obtenu deux fois la confiance du Sénat sur une déclaration de politique générale relative à la politique étrangère de la France à l'égard des pays de l'Est ainsi que sur le Moyen-Orient. Le Sénat représente aussi un instrument gouvernemental d'opposition à l'Assemblée nationale. [...]
[...] Les lois doivent être votées en termes identiques dans chacune des deux assemblées, selon l'article 45 de la Constitution. Chaque assemblée délibère successivement afin d'adopter un texte identique. Le Sénat peut s'opposer efficacement à l'Assemblée nationale et il semble exister un véritable ‘'droit de veto'' sénatorial. La Constitution de 1958 a prévu aussi une procédure visant à déposséder le Sénat de ses pouvoirs d'opposition au gouvernement : si un désaccord persiste sur un projet ou une proposition de loi entre les deux chambres du pouvoir législatif, une commission mixte paritaire (composée de 7 députés et de 7 sénateurs) doit permettre d'aboutir à un texte de conciliation. [...]
[...] Mais une troisième source de légitimité sénatoriale, plus technique, existe. Par les amendements de forme et de fond qu'elle propose, la Haute Assemblée permet très souvent d'améliorer la cohérence et la qualité des textes votés souvent trop rapidement en première lecture à l'Assemblée nationale. Et, ne serait-ce que pour cette raison, le Sénat remplit un rôle utile parmi les institutions de la Ve République. Bibliographie indicative: Le règlement du Sénat sous la Cinquième République par Carole Enfert (Relié - 1999) Le Sénat par J. L. [...]
[...] La représentativité déséquilibrée du Sénat va à l'encontre de la volonté stabilisatrice initiale De plus, les modalités inégalitaires de son mode d'élection ont une incidence sur sa représentation politique (II). A. La représentativité déséquilibrée du Sénat Par définition, le Sénat assure en théorie la représentation des collectivités territoriales (article 24 de la Constitution). Dans les faits, son mode d'élection est quasiment fondé sur la représentation des communes : les sénateurs sont élus par 0,25% de la population des électeurs provenant du cadre communal des conseils généraux et des conseils régionaux, sans compter les députés. [...]
[...] Le Sénat est le reflet d'une représentation inégalitaire des populations. Un sénateur de la Creuse représente près de quatre fois plus d'électeurs que son collègue des Bouches-du-Rhône : la France rurale est franchement surreprésentée par rapport à la France urbaine. C'est donc toujours l'argument développé par Gambetta au début de la IIe République qui tend à fonder aujourd'hui la légitimité du Sénat et à faire de lui le Grand Conseil des communes de France Cette surreprésentation rurale concerne plutôt les départements mi-urbains, mi-ruraux, diversifiés économiquement et dotés d'une économie agricole dynamique. [...]
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