L'émergence d'un nouvel organe politique, sous la forme d'un parti unique, détenteur d'un pouvoir ultra-personnalisé et réclamant le « monopole de l'activité politique légitime » est un trait commun aux totalitarismes. Les liens qu'entretient le parti avec l'appareil d'État sont si ténus, que les deux se confondent, faisant naître la figure de l'État partisan.
La Russie soviétique a connu l'expérience la plus «aboutie» de ce phénomène, par sa vigueur et sa durée temporelle. En se focalisant sur le régime communiste de l'ex-URSS, il s'agira d'étudier dans quelle mesure le parti monopolistique parvient à se substituer aux structures traditionnelles de l'État et des organisations sociales, jusqu'à en devenir l'âme même et opérer une «pétrification du social en profondeur» selon les termes de Claude Lefort dans son essai «La complication, retour sur le communisme».
[...] En se focalisant sur le régime communiste de l'ex-URSS, il s'agira d'étudier dans quelle mesure le parti monopolistique parvient à se substituer aux structures traditionnelles de l'État et des organisations sociales, jusqu'à en devenir l'âme même et opérer une pétrification du social en profondeur L'Etat partisan dans la conquête du pouvoir Pour justifier sa nécessité, le parti unique use de deux arguments intimement liés. Le premier est celui de la représentation authentique. En s'opposant à la vacuité, l'incertitude et la division, caractéristiques du pouvoir démocratique, le parti prétend incarner l'unité de classe, l'homogénéisation de la société par la diffusion d'une idéologie suprême, matérialisant la volonté du peuple et s'imposant à tous. Dans le totalitarisme soviétique, cette idéologie se comprend comme une loi de l'Histoire, qui s'incarne dans la lutte des classes. [...]
[...] Dans la société qu'il promeut, la classe prolétaire est la seule à pouvoir exister en tant que force politique, car en triomphant de l'ennemi bourgeois, elle œuvre à la réalisation de la dictature du prolétariat, phase intermédiaire entre capitalisme et socialisme. Le parti ne peut donc être qu'unique. Le second argument a trait à la réalisation historique. Pour promouvoir une société nouvelle et porter ses valeurs révolutionnaires, l'idéologie du parti ne peut souffrir aucune contestation. C'est un régime idéocratique qu'appelle de ses vœux le parti. On voit ici poindre l'usage de la violence, sur lequel nous reviendrons. [...]
[...] L'État, c'est nous Cette formule de Lénine résume bien le but auquel est voué le parti soviétique, sans pour autant en délimiter sa portée pratique. En effet, le tout idéologique, l'utilisation de la terreur comme mode de régulation du pouvoir et l'ampleur des massacres qui en découlent obligent soit à repenser la figure même de l'État totalitaire, en miroir inverse de celle de l'Etat démocratique, soit à considérer le phénomène totalitaire comme l'utilisation la plus extrême d'une potentialité propre à l'État. [...]
[...] Celle-ci se veut à la fois surhumaine (elle prétend tout expliquer), indifférente à toute expérience et réduite à un principe unique vers lequel tout se rattache (lutte des classes pour le communisme). La terreur légale substitue au droit positif un droit transcendant. Une nouvelle conception de la justice apparaît ainsi, dans laquelle est non seulement détruit le domaine public la distinction entre le politique et le non-politique n'existant plus (le sacrifice de la société à une loi suprême annihile la faculté de juger) mais où les espaces entre les hommes individuels sont également abolis, au profit d'un lien de fer qui les unit et les prive de toute liberté de mouvement. [...]
[...] Ce qui singularise le régime soviétique, c'est le renversement de la violence terroriste, contre le parti même, dont les purges sous Staline au sein du Comité central du parti rendent compte. Le rôle de l'idéologie dans l'action de l'Etat-partisan ne saurait cependant être mésestimé. En effet, la terreur légale est mise en œuvre par une autorité suprême, qui réside dans le seul parti démiurgique.4 La loi de l'Histoire est donc d'abord perçue comme le produit de l'idéologie totalitaire, qui échappe à toute rationalité et est la seule apte à légitimer le mouvement qu'elle entraîne. La subsistance de l'État après la prise du pouvoir est donc consubstantielle à l'idéologie. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture