“C'est dans la légalité que moi-même et mon Gouvernement avons assumé le mandat exceptionnel d'établir un projet de nouvelle Constitution et de le soumettre à la décision du peuple ». Charles de Gaulle, le 4 septembre 1958, présente au peuple son projet de Veme République. Président du Conseil depuis le 29 mai précedant, il a mené durant l'été son projet d'une nouvelle constitution, destinée notamment à sortir la France de la crise algérienne. Cependant, le retour du Général de Gaulle sur la scène politique, à l'été 1958, est très controversé ; face à une conjoncture politique et internationale extrêment difficile pour une quatrième République très affaiblie, dans un contexte propice à un coup d'État (on craint effectivement un putsch militaire), le général a réussi à endosser le rôle de « l'homme providentiel » auquel le parlement était forcé de faire appel. Si la procédure d'investiture de Charles de Gaulle s'est faite dans la parfaite légalité, il convient de souligner que la manœuvre qui a obligé la classe politique à lui faire appel est subversive et illégale, puisque fondée sur la mutinerie et la menace de militaires indisciplinés. C'est là, notamment, que réside toute l'amigüité de la question ; il est en effet difficile d'admettre comme juste l'une des deux positions, et de rejetter l'autre de manière catégorique : investiture légitime ou coup d'État ? Si « pour les gaullistes, la IV° République est tombée de sa belle mort » (P.Touchard), auquel cas le retour du général serait, non seulement légitime, mais providentiel ; les principaux détracteurs de de Gaulle, au contraire, y voient un coup d'État intrinsèquement illégitime. François Mitterrand s'en inspirera pour son pamphlet à l'intention du Général, son fameux Coup d'État permanent (1964), dans lequel il expose son point de vue : « Qu'est-ce que le gaullisme depuis qu'issu de l'insurrection il s'est emparé de la nation ? Un coup d'État de tous les jours ».
C'est donc une question extrêment intéressante, par l'ampleur du débat qu'elle soulève, que de s'interroger sur le caractère légitime ou non du retour du Général de Gaulle. Mais au-delà de la question de la légitimité, il s'agit de se demander si le contexte de crise ne rendait pas nécessaire, voire indispensable, l'appel à un « homme providentiel » susceptible, par le projet qu'il porte, de redresser le pays ? De se demander si, pour reprendre le célèbre idiome de Machiavel, parfois « la fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? »
La thèse d'un coup d'État du Général de Gaulle, d'un "coup d'État du 13 mai", peut paraître, dans une certaine mesure, évidente pour certains détracteurs du général et du régime qu'il a mis en place (I), cependant cette thèse a toutes les raisons d'être nuancée, bien qu'elle ne puisse être facilement réfutée dans son ensemble (II).
[...] La guerre d'Algérie joue un rôle majeur dans l'effondrement de la IV°République et dans le retour de Charles de Gaulle; on pourrait même penser que sans la guerre d'Algérie, le Général n'aurait jamais pu saisir la chance que celle-ci lui a offerte. L'incapacité des gouvernements à trouver des solutions au conflit y est pour beaucoup dans la perte de popularité de la République et la croissance de l'antiparlementarisme. La succession des gouvernements ne permet aucune continuité de l'action politique, et aucune politique à long terme n'est menée. Mais le coup de grâce n'est porté au régime que lorsque la "question algérienne" se transforme en véritable crise politique. [...]
[...] Il rappelle que, si de Gaulle a cité de nombreux grands hommes pour modèles, il a toujours éloigné de ceux-ci Napoléon Bonaparte, dénonçant son cynisme, sa dictature et son autoritarisme, son coup d'État. Il est pourtant intéressant de noter le titre que donne Jean Lacouture au chapitre qu'il consacre à l'été 1958: "le 17 brumaire" C'est donc une question pleine d'ambigüités et relativement délicate que de savoir si l'arrivée du général est soit une arrivée absolument légitime à la tête de la France, soit un coup d'État illégitime et condamnable par nature; il s'agit sur cette question de ne pas verser dans l'extrême et d'adopter une réflexion extrêmement pesée et nuancée. [...]
[...] Cependant, dans ce contexte de panique, le Général de Gaulle, en fin stratège, préfère attendre que la situation se dégrade encore pour la classe politique, afin que celle-ci soit forcée de lui tendre la main. Ce qu'elle ne tarde pas à faire . Le président du Conseil, Pflimlin démissionne le 28 mai face à la menace de guerre civile. Le Général de Gaulle ayant, le 19 mai, fait savoir qu'il était prêt à assumer les pouvoirs de la République le Président de la République René Coty les lui confie le 29 mai. [...]
[...] Le referendum de janvier 1961 portant sur le principe d'autodétermination pour l'Algérie obtient 75,2% de "oui". Enfin, un referendum portant sur la réforme du Sénat et la régionalisation est proposé aux citoyens, le 27 avril 1969. De Gaulle prévient des conséquences du résultat du suffrage: "Si je suis désavoué par une majorité d'entre vous, solennellement sur ce sujet capital, et quels que puissent- être le nombre et l'ardeur de l'armée de ceux qui me soutiennent ( ) ma tâche actuelle de chef de l'État deviendra évidemment impossible, et je cesserai aussitôt d'exercer mes fonctions". [...]
[...] La V°République a donc tenu après le départ de son architecte et pilier central; elle a survécu à Charles de Gaulle, et a su s'adapter aux successeurs de ce dernier. Il semble donc difficile d'admettre la véracité de la thèse d'un "coup d'État du 13 mai", si les institutions issues de ce bouleversement politique sont encore en vigueur aujourd'hui. Ceci est d'autant plus vrai que la V°République a vu défiler au palais de l'Élysée, après un président gaulliste, un président de droite non-gaulliste, puis un président socialiste; elle a connu trois cohabitations différentes et des deux bords . [...]
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