1870 : après la victoire des troupes allemandes sur l'armée de Napoléon III, l'Alsace-Lorraine fut intégrée de force dans le second Reich allemand. Les vainqueurs justifièrent cette intégration au motif que les populations de ces territoires étaient en grande partie d'ethnie et/ou de langue germaniques. Ce rattachement à la nation allemande était-il pour autant légitime ? Etait-il juste pour les populations concernées ? Pour autant que de toute antiquité le droit (jus) est conçu en rapport au juste (justum), que le droit positif ou établi peut toujours être interrogé quant à sa légitimité et au nom de la justice – inextinguible revendication de toutes les Antigone à travers les âges - l'Allemagne était-elle en droit de faire ce rattachement, ou, inversement, le droit de ces populations de l'Est de la France a-t-il été respecté ? On sait que la perte de l'Alsace-Lorraine fut douloureusement ressentie par les Français et a suscité une animosité croissante contre l'Allemagne, des figures populaires comme celle du Général Boulanger – le Général “Revanche” – montrant l'ampleur de cette animosité, qui déboucha sur le cri vengeur des mobilisés de 1914 : « A Berlin ! A Berlin ! ».
C'est dans ce lourd contexte qu'Ernest Renan prononça le 11 mars 1882 à la Sorbonne sa conférence devenue célèbre « Qu'est-ce qu'une nation ? ». Renan était un spécialiste d'hébreu et s'était spécialisé dans l'étude critique des textes bibliques. Il écrivit une Vie de Jésus qui fit sa renommée. On aurait pu s'attendre à voir valoriser par cet exégète la langue et la religion comme facteurs de base d'une communauté nationale. Pourtant, selon lui, ce n'est ni la langue, ni la religion, qui constitue une nation, et pas davantage la race ou les aléas de la géographie : c'est la volonté d'un avenir commun, d'un « vivre ensemble » à partir d'un même héritage. Sans conteste, le problème ici en cause déborde de beaucoup le contexte particulier précité, il est fondamental aussi bien en philosophie politique et qu'en droit constitutionnel. En un premier temps, nous examinerons les termes dans lesquels Renan présente sa conception de la nation comme « principe spirituel » avec deux facteurs constitutifs, l'un ayant trait au passé, l'autre à l'avenir, ces deux facteurs prévalant selon lui sur tous les autres d'ordinaire invoqués. En un second temps, nous verrons comment Renan repousse des objections possibles à sa thèse, objections de taille à vrai dire - pour la réaffirmer à la fin de façon vigoureuse, face à ce qu'il appelle les « transcendants de la politique ».
[...] Renan, Qu'est-ce qu'une Nation? 1870 : après la victoire des troupes allemandes sur l'armée de Napoléon III, l'Alsace-Lorraine fut intégrée de force dans le second Reich allemand. Les vainqueurs justifièrent cette intégration au motif que les populations de ces territoires étaient en grande partie d'ethnie et/ou de langue germaniques. Ce rattachement à la nation allemande était-il pour autant légitime ? Etait-il juste pour les populations concernées ? Pour autant que de toute antiquité le droit (jus) est conçu en rapport au juste (justum), que le droit positif ou établi peut toujours être interrogé quant à sa légitimité et au nom de la justice inextinguible revendication de toutes les Antigone à travers les âges - l'Allemagne était-elle en droit de faire ce rattachement, ou, inversement, le droit de ces populations de l'Est de la France a-t-il été respecté ? [...]
[...] On sait que cette théorie rousseauiste a joué un rôle déterminant pour l'instauration des institutions républicaines. Renan rejoint manifestement cette théorie volontariste de la nation, à ceci près que le consentement actuel pour un avenir commun est selon lui appuyé sur la mémoire, sur une appropriation collective du passé. La volonté nationale est la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis Il développe ensuite cette idée en parlant du passé héroïque comme capital social sur lequel on assied une idée nationale mentionnant au passage l'importance du culte des ancêtres. [...]
[...] Dans le contexte historique que nous avons rappelé, le rattachement au Reich de l'Alsace-Lorraine, Renan vise sûrement ici le pangermanisme inspiré de la théorie de la nation de Fichte. Dans son célèbre Discours à la nation allemande (1807), le philosophe allemand, un an après la bataille d'Iéna, avait exalté la supériorité des Allemands en matière ethnique et linguistique sur les autres peuples, notamment sur les Latins, et exhorté tous les peuples germaniques à la prise de conscience de leur unité et de grandeur. Le Discours était certes réactif, contre l'envahisseur français, mais les principes étaient posés pour une exaltation d'une grande Allemagne investie de surcroît d'une mission divine. [...]
[...] La réponse de Renan à l'objection est double. D'une part, il ne faut pas pousser à l'excès le principe d'une auto- détermination volontaire du peuple, d'autre part il faut accepter que les volontés humaines changent et que les nations périssent, remplacées éventuellement plus tard par une confédération européenne Sur le premier point, on peut penser qu'il y sinon une révision à la baisse, du moins une atténuation de la théorie volontariste : le plébiscite de tous les jours ne va quand même pas de soi . [...]
[...] Qu'est-ce alors qu'une nation si elle n'est pas fondée sur l'unité de sang et de langue ? C'est selon Renan une âme, un principe spirituel Pour la tradition philosophique issue des Grecs, notamment d'Aristote (Traité de l'âme), l'âme est le principe de vie en chaque individu vivant, et cette âme est dite spirituelle, dotée des facultés supérieures de l'intellect et de la volonté, chez l'homme. Renan utilise ces termes en un sens analogique : la nation est le principe vital ou le principe d'animation d'un corps social. [...]
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