Muriel DARMON (2003), Devenir anorexique. Une approche sociologique, Paris, La Découverte.
Howard BECKER (2000), Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris, Métaillé.
“Supposer que le comportement que l'on étudie est parfaitement sensé, mais que ce sens nous échappe pour le moment, est en général une bonne alternative sociologique à l'hypothèse (...) de la folie (...). En termes d'analyse, cela signifie que chaque fois que nous découvrons quelque chose qui nous semble si étrange et si incompréhensible que la seule explication que nous puissions en donner est une version quelconque de “Ils doivent être fous”, nous devrions systématiquement suspecter que nous manquons grandement de connaissances sur le comportement que nous étudions. Il vaut mieux supposer que tout cela a un sens et en rechercher la signification.”
“Ils sont déviants, ils sont différents”, peut être une des différentes versions de “ils doivent être fous”. Un regard sociologique sur la déviance sera donc un regard scrutateur, qui cherchera à comprendre des logiques qui lui échappent, et non à conformer la réalité à ses idéaux. C'est dans cette quête pour tenter de redonner un sens à des pratiques sociales dénigrées que se lancent Muriel Darmon dans Devenir anorexique. Une approche sociologique, et Howard Becker dans Outsiders : études de sociologie de la déviance. Les ouvrages de M. Darmon et de H. Becker présentent un certain nombre de différences, à commencer par le sujet qu'ils traitent. L'ouvrage de H. Becker est écrit dans le cadre des travaux de l'Ecole de Chicago de sociologie sur la déviance (regroupés sous le terme critiqué par les sociologues de “théories interactionnistes de la déviance”), qu'il aborde du point de vue de la sociologie du travail (le travail de ceux qui ont des intérêts professionnels de ceux qui trouvent et définissent les “délinquants”). Celui de M. Darmon aborde un sujet appartenant a priori aux chasses gardées de la médecine, et plus précisément de la psychologie, l'anorexie. Cette différence apparente ne doit pas nous empêcher de voir la parenté de ces deux textes. Les fumeurs de marijuana peuvent être considérés comme des déviants, en tant qu'ils ne respectent pas les lois qui interdisent cette pratique, les musiciens de Jazz en tant qu'ils mènent une vie qui ne correspond pas aux idéaux de la société. L'anorexie quant à elle, qui peut sembler un fait intime, individuel, semble être causée par un dérèglement de l'esprit humain, un dérèglement des conduites alimentaires : les anorexiques ne seraient alors pas normales, mais moitié folles. Selon le sens commun, ces individus seraient différents, et leurs actions, dont la logique nous est étrangère, ne seraient que la conséquence, le reflet de cette différence, de l'étrangeté à la norme, qu'elle soit juridique, sociale ou médicale. H. Becker comme M. Darmon abordent leur objet sous un angle nouveau, qui déstabilise à première vue. Selon H. Becker, les fumeurs de marijuana ou les musiciens de jazz n'ont pas des qualités particulières qui les rendent déviants, mais ce sont leurs pratiques qui sont définies comme telles par d'autres acteurs sociaux. Ce renversement de perspective pousse à inclure ceux-là même, jusqu'alors absents des études de la déviance, qui définissent et font appliquer ces normes, dont la transgression constitue la déviance, dans les analyses. En somme, H. Becker substitue à la question “qui” sont les déviants - et pourquoi ils le sont, la question “comment” s'établit une norme. C'est également cette approche qu'utilise M. Darmon. Alors que la sociologie ne semble pas avoir son mot à dire pour expliquer qui sont les anorexiques et les facteurs psychologiques qui expliquent cette anormalité, elle peut être éclairante pour comprendre quel est le parcours d'un anorexique (dès le titre de l'ouvrage, “devenir anorexique”, elle met en avant le fait que l'on n'est pas anorexique de manière innée, mais qu'on le devient), de la “normalité” au diagnostic de la pathologie et à la prise en charge par les institutions hospitalières. Comme le dit M. Darmon elle-même, “les disciplines ne se définissent pas par les objets qu'elles prennent en charge”, mais bien par leurs approches et leurs méthodes : la sociologie n'a pas moins son mot à dire ici qu'ailleurs, tant qu'elle ne cherche pas à trouver des causes ou des solutions, mais cherche à décrire et expliquer les faits sociaux. C'est pourquoi nous nous intéresserons à la spécificité d'une approche sociologique des faits sociaux (I), puis à ce que nous apporte l'étude de la déviance comme phénomène collectif et non pas individuel (II).
[...] Cela va également modifier l'image que les membres du groupe se font d'eux- mêmes. Ils auront tendance dans certains cas à s'y conformer, ou à renverser leurs stigmates. Plus le groupe est cohérent, meilleures seront les justifications de son comportement, et plus l'identification de ses membres sera totale. Le monde des musiciens de Jazz est codifié, organisé, hiérarchisé, et répond également à des contraintes commerciales. Si les logiques d'un tel groupe sont différentes de celles d'autres groupes sociaux, elles n'en sont pas moins réelles et rationnelles. [...]
[...] Darmon et de H. Becker présentent un certain nombre de différences, à commencer par le sujet qu'ils traitent. L'ouvrage de H. Becker est écrit dans le cadre des travaux de l'Ecole de Chicago de sociologie sur la déviance (regroupés sous le terme critiqué par les sociologues de “théories interactionnistes de la déviance”), qu'il aborde du point de vue de la sociologie du travail (le travail de ceux qui ont des intérêts professionnels de ceux qui trouvent et définissent les “délinquants”). [...]
[...] Comme pour les fumeurs de marijuana, la première étape n'est pas caractéristique d'une carrière proprement déviante. De plus, le début de la prise en main sur le plan physique de la carrière anorexique s'accompagne souvent d'un redoublement d'efforts sur le plan scolaire. Les bons résultats et les encouragements que la jeune fille obtient à l'école sont assimilés pour elle à un encouragement à continuer également le régime alimentaire. Rien ne dit que l'individu qui fume une fois, ou que la jeune fille qui fait quelques régimes, ou qui limite son alimentation vont devenir consommateur de marijuana pour l'un et anorexique pour l'autre. [...]
[...] La sortie de l'anorexie va justement passer par la remise de soi à une institution totale qui va chercher à faire disparaître cette seconde socialisation. La jeune anorexique va perdre le contrôle de sa biographie, tous ses actes vont être réinterprétés à la lumière de la maladie qu'on lui a diagnostiquée. Cet abandon à l'institution est d'autant plus difficile pour une anorexique que c'était pour être maîtresse de son image, pour atteindre l'excellence qu'elle avait commencé ses efforts. Dans le cas de l'anorexie, la déviance avait donc paradoxalement commencé dans la recherche de la conformité aux normes (physiques et scolaires) les plus exigeantes de la société, et il faut désormais les abandonner pour les réintégrer, sans démesure. [...]
[...] La sociologie ne permet cependant pas et n'a pas l'intention de donner de réponse étiologique aux comportements déviants, ou de donner une appréciation morale, mais une connaissance détaillée d'une fraction du monde social; elle semblera toujours prendre le parti des individus qu'elle observe, quels qu'ils soient, dominant ou dominés, dans la mesure où c'est bien de leurs logiques qu'elle veut rendre compte. Elle a au moins le mérite de mettre en perspective des positions que l'on voudrait nous présenter comme universelles, éternelles et auto-justificatrices, et de donner à réfléchir. S. Becker, Les Ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales. Cité par M. Darmon p.9. Même si M. [...]
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