Depuis les années 90, le Maroc s'est engagé dans un processus de « transition » et multiplie les signes de démocratisation. C'est pourquoi il est considéré par la communauté internationale (et notamment par les États-Unis) comme un « bon élève » parmi les pays arabes et comme « un pôle d'équilibre au Maghreb ». Tant par rapport à ses voisins maghrébins avec qui il partage certaines caractéristiques (Tunisie et Algérie) que par rapport aux autres pays du monde arabe, le royaume chérifien semble présenter les conditions les plus favorables qui soient pour s'engager dans des réformes en vue d'une meilleure « gouvernance ».
Cette « ouverture » politique s'accompagne d'une « ouverture » économique. Après s'être orienté vers la planification et une économiste dirigiste à l'indépendance (sans pour autant que les biens étrangers aient été nationalisés), le pouvoir marocain a opté définitivement pour une économie libérale à partir des années 70. Mais, cette « libéralisation » de l'économie ne s'est jamais départie d'une tendance dirigiste (avec la politique de « marocanisation » à partir de 1973). Il a fallu l'influence du FMI et de son « plan d'ajustement structurel » (1983) pour que l'économie marocaine se libéralise véritablement (réduction des déficits publics et premières privatisations dans les années 90).
[...] Le signe est à distinguer de ce qu'il montre, la partie cache parfois le tout. Le processus de mise à la norme démocratique ne préjuge en rien d'une démocratisation du régime. Myriam Catusse et Frédéric Varel mettent en évidence, dans les actions du pouvoir marocain un effet de modèle et de synecdoque qui conduiraient à une démocratisation en kit Reprendre mot à mot les concepts et les notions développés par les organisations internationales en direction des pays en voie de développement crée un écran de fumée par son prestige talismanique quasi incantatoire, constituant, en fait, un outil central dans les métamorphoses des modalités et techniques de gouvernement La libéralisation politique et économique qu'aurait résolument engagée le pouvoir chérifien a tendance à dissimuler œuvre du pouvoir lui-même des constantes immuables du régime. [...]
[...] L'historien Mohammed Laroui a essayé de montrer combien l'expérience historique de la liberté dans le monde arabo-islamique est infiniment plus large que ne le suggère l'organisation étatique traditionnelle. Il montre qu'une traduction terme à terme est infructueuse[30] et distingue quatre comportements historiquement détectés qui traduisent le fait libertaire, même si le vocable fait défaut : le nomadisme badâwa le clan ‘ashîra la piété taqwâ le mystique tasawwuf Ainsi, Etat et liberté individuelle sont totalement contradictoires dans la société arabe traditionnelle. [...]
[...] Il est possible d'analyser ces signes comme autant de réformes allant dans le sens de la bonne gouvernance On peut aussi constater la remarquable stabilité du système politique et des institutions, pourtant mis à l'épreuve de la disparition d'un souverain intimement associé à la construction de l'Etat moderne qu'il semblait personnifier[15]. Par conséquent, on peut interpréter aussi ces mesures comme s'inscrivant dans une parfaite continuité monarchique : - les décisions de Mohammed VI concernant les victimes des années de plomb se placent dans une relecture de la tradition alaouite de générosité du sultan à l'égard de ses sujets. [...]
[...] Libéralisation de l'espace public : liberté d'expression et droits de l'homme Nous l'avons vu, la prise en compte du processus de démocratisation par le pouvoir permet à la société civile de prendre une part plus active dans le champ politique. Mais, dépourvue de toute légitimité, elle reste fortement limitée, notamment en ce qui concerne, d'un côté, la défense des droits de l'homme et la défense des valeurs islamistes, de l'autre côté. Des militants des droits de l'Homme et d'anciennes victimes des années de plomb ont constitué un Forum Vérité et Justice (FVJ) afin de défendre les revendications des victimes et répondants ainsi aux exigences des droits de l'homme. [...]
[...] Mais, Abdessalam Yacine et son mouvement Justice et Bienfaisance (créé en 1983) se sont avérés incontrôlables. Le pouvoir a donc décidé de miser sur une organisation concurrente, le Parti de la Justice et du Développement (PJD). TOZY Mohammed, Monarchie et islam politique au Maroc (Presses de Sciences-Po) ZEGHAL Malika, ibid. dont le sous-titre est explicite : vers la liberté dans le monde arabe Algérie, Jordanie, Palestine, Liban et Maroc La traduction du vocable liberté, courant en Europe et à la signification assez évidente pour éviter d'en donner une explication, par hurriya n'est pas satisfaisante. [...]
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