En 2006, une photo fait le tour des medias irlandais et britanniques : les deux frères ennemis Jerry Adams, leader historique du Sinn Fein et Henry Mac Guinness, représentant du parti unioniste radical, y étaient représentés riant comme de vieux amis réconciliés après des années de brouille. Cette image est pourtant peu représentative de la réalité de la situation en Irlande du Nord.
Certes les accords de paix ont été signés et approuvés par 70% de la population en 1998 après trois décennies d'un conflit qui a fait plus de 3500 morts et 30 000 blessés. Les conditions politiques de la paix ont été atteintes et la situation économique s'améliore. Les factions militaires des partis nationalistes et unionistes ont presque toutes déposé les armes, seuls quelques séparatistes continuent de faire peser une menace diffuse de violence. La construction européenne constitue un autre signe d'espoir dans une société en besoin de changement, lassée par la violence du conflit.
[...] Ces panthéons nationalistes et unionistes, full of passionate intensity selon les mots de Yeats, envahissent le paysage politique en le peuplant des idoles tombées au combat. La mémoire des victimes a ainsi été utilisée, relayée plus ou moins consciemment par les média, jusqu'à devenir part d'un imaginaire collectif dont il devient difficile de se détacher pour les jeunes Irlandais qui grandissent dans l'une ou l'autre des communautés. Pour autant, contrairement à d'autres situations de conflit, relativement peu d'associations de victimes ont émergé, et ceci, pour plusieurs raisons. [...]
[...] Or, cela joue profondément sur les structures mêmes de la vie politique en Irlande du Nord. Contrairement à la plupart des pays européens, le clivage entre la droite et la gauche, bien qu'existant en théorie, est inopérant sur la scène politique nord-irlandaise. La ligne de division se fait sur le conflit, non sur des positionnements idéologiques ou économiques. La signature d'accord de paix demande une adaptation notamment des deux partis communautaires que sont le Sinn Fein et le DUP (Democrat Unionist Party). [...]
[...] La réconciliation est donc rendue difficile aujourd'hui, mais également dans l'avenir. De plus, la mémoire du conflit se présente comme une mémoire sociale de la violence, dans un environnement où le conflit est devenu au fil du temps partie intégrante du quotidien. La peur de perdre un proche, des bombardements, des attentats, a structuré les liens sociaux et familiaux des Irlandais pendant trente ans, notamment à Belfast, et continue aujourd'hui de marquer les comportements. Le facteur temps central dans tout processus de réconciliation, semble compromis dans le cas nord-irlandais. [...]
[...] Mais le principal obstacle est bien le manque d'une véritable volonté de réconciliation au sein du peuple, qui voit les ennemis d'hier se serrer la main sans en manifester de grands espoirs ou révoltes. Le conflit a hier détruit la vie quotidienne en Irlande du Nord, c'est aujourd'hui la vie quotidienne et ses difficultés qui occultent la paix. Patricia Lundy and Mark McGovern, politics of memory in post- conflict Northern Ireland”, Peace review, 13: Elise Féron, “Irlande du Nord: une réconciliation incertaine”, Culture et conflits Cité dans John McGarry et Brendan O'Leary, Explaining Northern Ireland Blackwell, Oxford, p Idem Idem Lundy et McGovern, Op. sic Féron, Op. [...]
[...] Reste à transférer cette réconciliation dans le champ social. La tâche s'annonce d'autant plus malaisée que les formations paramilitaires nationalistes ou protestantes ont joué pendant longtemps un rôle de catalyseur de la violence. Dans un contexte économique et social sinistré, face à la discrimination communautaire, le recours à la violence apparaissait comme une voie acceptable et enviable à beaucoup de jeunes désoeuvrés. Dans le cadre du conflit, ces jeunes intégraient les formations nationalistes et unionistes, dans lesquelles la violence était cadrée et dirigée vers l' ennemi Le règlement de paix signé, il n'existe plus de structures pour canaliser cette violence sociale, qui se reporte entre autres sur les étrangers ou les homosexuels, ou s'exerce contre l'une ou l'autre des communautés, mais sans traduire de revendication politique précise. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture