Rationalité instrumentale et action politique

Résumé du document

Max Weber déclare que « l'intellectualisation et la rationalisation croissantes » sont les faits majeurs de nos sociétés modernes au point que nous croyons que « nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision ». Dans le cadre d'une rationalité instrumentale comme corrélat de nos décisions, « maîtriser toute chose par la prévision » signifierait alors avoir une conscience claire des fins à accomplir, et une connaissance exacte des moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir. Le champ politique permet-il d'avoir tout à la fois, cette conscience claire et cette connaissance exacte ?
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Extraits

[...] La rationalité instrumentale se trouve dans un dilemme paradoxal : on lui demande de réparer les conflits qu'elle a elle-même mis en place ! Ce dilemme nous mène sans doute à une aporie. Si l'action politique n'est comprise qu'à l'aune de l'instrumentalité de la raison, dès lors qu'il y a conflit entre deux individus, par exemple conflit entre deux finalités différentes, comment la rationalité instrumentale pourrait-elle trancher en faveur de l'un ou de l'autre, elle qui est précisément subordonnée au choix d'une fin ? [...]

[...] La question de la moralité entre alors sur la scène politique d'une manière très aristotélicienne. La rationalité politique notons ici l'unification et l'aboutissement des deux termes du sujet suppose chez Aristote une rationalité instrumentale très importante (l'action politique ne peut faire l'économie d'une rationalité téléologique) mais aussi une prudence caractéristique du juste. Le prudent chez Aristote sera cet acteur politique qui aura étudié la contingence d'une situation pratique, par sa rationalité instrumentale, pour faire une action juste. Juste parce qu'elle est adaptée aux circonstances mais juste aussi parce que c'est une action bonne, que nous ne pouvons qu'imiter et approuver. [...]

[...] La rationalité instrumentale serait une capacité technique indispensable à la réalisation d'une fin politique, mais qui pourtant nécessiterait une rationalité formelle portant sur les choix de cette fin, et de ces moyens, une rationalité par rapport à une valeur toujours selon Weber. La vraie rationalité de l'action politique doit donc s'attacher non seulement selon la définition stricte de la rationalité instrumentale, à soupeser les moyens par rapport aux fins, mais aussi les fins par rapport aux effets selon une rationalité de la responsabilité et les fins par rapport à d'autres fins selon une rationalité de la conviction Dans notre introduction nous avions vu que la rationalité instrumentale devait aboutir une conscience claire des fins à accomplir et une connaissance exacte des moyens à mettre en oeuvre De conscience claire et de connaissance exacte, il ne saurait y en avoir puisque l'action politique suppose une incertitude, ou une anticipation des stratégies. [...]

[...] Si elle ne le peut pas, cela reviendra à s'interroger sur la légitimité de sa méthode, ou du moins son monopole comme semble le laisser entendre Max Weber ou les critiques marxistes. La rationalité instrumentale, si prompte à nous aider dans la théorie des jeux, dans nos comptes économiques, nos problèmes techniques pourraient rencontrer de nombreuses limites, au défi de l'action politique. Notre problématique peut donc se résumer en une question à double foyer : Quelles sont les limites et quelle est la légitimité d'une rationalité instrumentale dès lors que la sphère politique est spécifiquement enjeu de l'action ? [...]

[...] Ce qui change réellement ce sont les impératifs de l'action : je fixe mes choix toujours selon une rationalité instrumentale qui prend en compte fins et moyens. Mais cette fois j'accepte que ma rationalité soit subordonnée à celle d'une communauté politique, plus majoritaire que moi. Il me faut la prendre en compte dans mon vote, et les autres font pareil que moi. Mais on peut se demander si ce passage d'une rationalité individuelle à une rationalité politique se fait au détriment ou non, de notre concept de rationalité instrumentale et s'il garde sa cohérence. [...]