C'est dans le milieu des années 1990 que le terme de judiciarisation apparaît pour la première fois dans les discours, d'abord employé par les politiques. Il s'agissait à ce moment-là de dénoncer l'accroissement des pouvoirs des magistrats et des juges dans la politique. Le terme même de judiciarisation est un néologisme et se réfère à un appel croissant à la justice dans le but de résoudre des conflits sociaux et institutionnels.
Selon Jean-Paul Jean dans « La judiciarisation des questions de société », la judiciarisation serait un processus au cours duquel « un traitement juridique ou judiciaire se substitue à un autre mode de régulation sociale ». Il s'agirait donc d'une manifestation croissante du droit, une place de plus en plus importante que la justice prendrait dans la société démocratique, aux dépens d'un autre domaine, le politique par exemple. En d'autres termes, la justice interviendrait ainsi dans des domaines qui lui échappaient jusqu'à maintenant.
Cette définition n'est cependant pas unique puisque l'emploi du terme de judiciarisation est multiple. En effet, il peut tantôt faire référence au renforcement des pouvoirs du Conseil Constitutionnel, ou encore à ceux de la Cour des comptes ou même des pouvoirs du juge judiciaire. Il faut cependant se pencher sur l'emploi de ce terme et le distinguer de celui de juridictionnalisation ou encore de juridiciation.
En effet, la juridictionnalisation se réfèrerait plutôt à une extension du pouvoir des juridictions tandis que la juridicisation quant à elle serait plus généralement une place croissante des normes juridiques dans la société, en lieu et place d'autres normes et d'autres acteurs. La judiciarisation se rapprocherait alors davantage de la juridictionnalisation, dans le sens où ce processus accorderait une place majeure à l'action de création de normes par les juges, dans le cadre des juridictions judiciaires.
[...] I La judiciarisation de la société, une réponse à une demande sociale de justice A. La juridictionnalisation de la vie collective et le rôle croissant du juge dans les rapports sociétaux, prémices de la judiciarisation de la société C'est Antoine Garapon qui évoque cette expression de juridictionnalisation de la vie collective dans son ouvrage Le vocabulaire de la démocratie lorsqu'il décrit les pouvoirs croissants du juge dans la société, modèle de vie en communauté Le juge, garant de l'équilibre social et du respect des droits des individus La judiciarisation de la société tient en effet tout d'abord son origine d'un accès plus élargi au droit en général, à la connaissance du droit mais aussi aux tribunaux. [...]
[...] Ainsi, la judiciarisation de la société est également due à une évolution des modes de vie. Le contentieux civil a été multiplié par trois en vingt ans, avec notamment une montée en puissance du contentieux familial. La vie quotidienne des citoyens se gère donc aujourd'hui par les tribunaux et le recours croissant à la justice par les citoyens eux-mêmes a provoqué cette intervention du droit là où il y a quelques années il ne serait pas intervenu. Pierre Rosanvallon, dans son ouvrage La nouvelle question sociale. [...]
[...] La judiciarisation de la société ne pourrait donc être démocratique que si les frontières entre les pouvoirs restent clairement définies, même s'il semble tout à fait possible que la frontière entre le judiciaire et l'exécutif se déplace. C'est davantage à partir du moment où cette frontière deviendrait floue que cette judiciarisation constituerait une menace pour l'équilibre démocratique. De plus, si la justice en général contribue à l'équilibre démocratique, elle ne peut cependant pas se substituer totalement au politique. La judiciarisation en effet peut également s'entendre comme la création toujours plus importante de normes par le juge, en particulier par le juge judiciaire, par le biais de la jurisprudence. [...]
[...] En effet, la décision du juge peut faire naitre un sentiment d'insécurité chez les agents économiques puisqu'elles ne sont pas toujours prévisibles et ont un effet radioactif. Il faudrait alors adapter ce pouvoir normatif croissant de la jurisprudence en informant et en expliquant les revirements de jurisprudence aux citoyens. Dans la société française, laquelle possède une tradition légicentriste ne laissant au juge que le rôle de bouche de la loi la judiciarisation apparait ainsi comme contraire à l'organisation des pouvoirs. Au contraire, dans les pays anglo-saxons de tradition de Common Law, le gouvernement des juges n'est pas une menace puisqu'il est ancré dans la société. [...]
[...] Ainsi, dans un arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 6 mai 2008, le juge retient un devoir de loyauté du dirigeant à l'égard des associés en droit des sociétés,de même que dans un arrêt du 22 octobre 2009 où il retient le devoir de mise en garde du client par son banquier si ce client est une personne profane ou non avertie, même s'il est professionnel. Ainsi le juge est devenu un instrument d'efficacité de la norme juridique avec toujours la volonté de protéger la partie la plus faible. Il s'est progressivement transformé en garant de l'équilibre social et économique des citoyens, rôle qui appartenait antérieurement exclusivement à l'Etat. La judiciarisation touche ainsi tous les domaines de la société, tous les rapports entre les citoyens, qu'ils soient politiques, sociaux ou encore économiques. [...]
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