La croisade du juge Halphen contre le président Chirac est sans doute la meilleure illustration de la montée en puissance du pouvoir judiciaire dans nos sociétés modernes. Mais les pressions auxquelles à dû faire face le juge sont aussi symptomatiques de cette évolution et montre que ce qu'on appelle "judiciarisation" n'est peut être pas un mouvement aussi large que certains veulent bien le faire entendre.
Mais attention il ne faudrait pas confondre la "juridicisation" qui désigne la multiplication des règles juridiques, qui est un fait, et la "juridiciarisation" (ou "juridictionnalisation") qui désigne « l'extension de l'intervention du judiciaire dans de nouvelles sphères de la vie sociale » , en particulier le politique.
Nous chercherons donc à démontrer si, à l'image des affaires qui ont éclaté, la "juridiciarisation" est un mouvement générale qui manifeste l'intrusion grandissante du juge chez le politique. Notre propos sera tout d'abord de revenir sur la notion même de "juridiciarisation", qui nécessite d'être éclaircie au regard des préjugés qu'elle porte. Puis nous démontrerons que ce mouvement ne va de soi, et qu'il est surtout le fruit d'un travail de multiples acteurs.
[...] Pourtant à ne donner qu'une utilité discursive à la judiciarisation on oublie ce que cette notion charrie des implicites Juges versus Hommes politiques : une lutte tronquée Ce mouvement d'expansion du judiciaire recouvre en fait une interprétation implicite, c'est-à-dire celui de la légitimité des juges pour s'immiscer dans le champ politique. Le présupposé central est que pour toutes actions abandonnées par le politique, les juges y pallieront. Ce qui doit conduire à terme à la confusion des deux espaces. Tout ceci laisse penser que les deux ordres sont en concurrence. C'est peut- être la profusion des usages de la judiciarisation qui a conduit à croire que le politique est assiégé, qu'il perd de son pouvoir. [...]
[...] De plus la notion porte un implicite, celui de la confusion des pouvoirs, qui n'est que pure fiction. Ce qui ne contribue qu'à nourrir la prophétie auto-réalisatrice pour paraphraser Violaine Roussel, d'un gouvernement des juges. Or nous avons démontré que ce mouvement d'expansion n'est pas naturel, mais qu'il dépend de plusieurs facteurs rendant la judiciarisation du politique par-dessus tout fragile. Cependant pour aller plus loin, ne peut-on pas également réfuter la possibilité d'un gouvernement des juges grâce à la question de la légitimité ? [...]
[...] Mais à l'opposé, faire appel aux juges c'est aussi se dessaisir d'une question polémique qui pourrait être politiquement préjudiciable. Cette confusion des espaces n'est donc pas à l'ordre du jour, notamment en raison du floue qui plane sur la judiciarisation et du pouvoir toujours prépondérant du politique. Néanmoins force est de constater que les juges ont tout de même gagné en pouvoir, mais il semble que la judiciarisation n'est pas un mouvement massif et inéluctable, mais davantage une construction au cas par cas selon un contexte donné. [...]
[...] Violaine Roussel, op. cité, p14. Emmanuel Henry, Intéresser les tribunaux à sa cause. Contournement de la difficile judiciarisation du problème de l'amiante, Sociétés Contemporaines (2003) 52 (p. 39-59) Violaine Roussel, Les magistrats dans les scandales politiques en France. Logiques d'action et jeux judicaires locaux, in Jean-Louis Briquet et Philippe Garraud (dir.), op. cité. Le juge Eric Halphen reprend du service publié sur nouvelobs.com, le 23.01 .2007. [...]
[...] Les réformes, comme la fin du privilège de juridiction, ont alors contribué à l'émancipation du juge, qui a su s'affranchir de la dépendance historique envers le pouvoir politique[3]. Cette ‘‘juridiciarisation'' a également été nourrie par différents changements concernant la place du juge et son rapport au politique C'est ainsi que la mise en accusation de décideurs publics, l'intervention de la justice dans des questions de société, ou encore l'accroissement du droit Internationale, ont contribué à créer une dynamique endogène catalysant l'action des juges[4]. [...]
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