La récurrence des polémiques dans les médias démontre que l'attribution des prix Nobel concerne de nombreux enjeux. Ceux-ci sont liés à la portée symbolique comme pratique de l'attribution des prix. En effet, les nombreuses contestations ne s'appliquent pas aux simples questions financières. Et les Etats, au même titre que les individus se sentent concernés par la compétition annuelle. Nombreux sont ceux qui avancent l'hypothèse symbolique des prix selon laquelle ils sont une mesure du prestige de l'Etat, autrement dit, une manifestation de leur puissance. Mais au-delà de cet aspect, les choix de l'attribution supposent la recherche d'effets pratiques et d'orientations politiques.
Nous adopterons une approche globale. Non plus récompense de travaux individuels ou collectifs, non plus mesure du prestige de l'Etat, c'est en tant que processus de formation d'une communauté mondiale et de diffusion de valeurs morales et scientifiques que nous analyserons les prix Nobel. Leur action, tant institutionnelle d'attribution des prix, que l'activisme lui succédant est lié à la mondialisation dont ils sont le produit comme la manifestation. La dynamique des prix Nobel peut être perçue comme l'ébauche d'une société mondiale déterritorialisée. Le processus sous-tend l'idée d'une diffusion et d'une régulation du changement soustraite au monopole étatique.
Deux questions se posent alors ; et tout d'abord celle de la direction du changement impulsé. Il faudra analyser les corollaires du progrès de l'humanité conçu en termes scientifiques et moraux.
[...] Le rapport des prix Nobels au politique : des acteurs indirects de la politique mondiale ? Quel est, au-delà de leur fonction symbolique, l'impact réel des prix Nobel sur la scène internationale ? Pour reprendre la définition formulée par M. C. Smouts et D. Battistella, un acteur se conçoit en relations internationales comme toute entité dont les actions transfrontalières affectent la distribution des ressources et la définition des valeurs à échelle planétaire Le caractère cosmopolite de l'attribution des prix Nobel confère un positionnement mondial privilégié à la communauté malgré une ouverture tardive aux pays les moins développés. [...]
[...] Mais ces conceptions limitatives des prix Nobel sont aujourd'hui élargies. Le prix est porteur de la conviction que le progrès éliminera, à terme, les guerres : devant l'effroi suscité par une utilisation néfaste des nouvelles technologies, l'humanité rejettera tout conflit. L'institution Nobel présente ainsi des prix à valeur humaniste et progressiste. Au-delà de ce constat, nous pourrions même évoquer un certain scientisme de l'institution qui renverrait à l'idée que la science est porteuse de solutions aux grands problèmes humains, éthiques ou moraux. [...]
[...] La science peut-elle aboutir à la paix ? Ces questions nous renvoient à une difficulté majeure, celle de la science et de la morale se substituant à la philosophie ou à la politique. L'institution ne se limite pas à récompenser des individus. Elle participe par ce biais à la formation d'une communauté. Doublement renforcés par le caractère scientifique et la portée universelle des prix, les récipiendaires sont porteurs d'une parole sacralisée et investis d'un rôle public affirmé. L'individu semble dépossédé du je au profit du nous C'est d'ailleurs l'objet du refus du prix par Sartre : l'écrivain doit refuser de se transformer en institution La surmédiatisation dont les individus font l'objet participe à la surdétermination de leur identité individuelle. [...]
[...] Hors des États et d'engagement idéologique, l'activisme des Nobel aurait-il un sens ? L'action des Nobel est ainsi assimilable à celles de lobbies ou think tank internationaux. L'objectif n'est pas de remplacer le politique, mais bien de l'influencer. Leur activisme accompagne une individualisation de l'action internationale, non plus réservée à des professionnels, mais désormais de plus en plus à la portée de diplomates profanes Leur action n'en est pas moins problématique pour l'État. La multiplication des prises de position et des ingérences les rend incontrôlables. [...]
[...] Quel est l'impact de l'activisme des prix Nobels en politique mondiale ? Nous traiterons par ailleurs du rapport entre morale, experts et politique. L'accusation d' humanisme de façade dont les prix Nobel font souvent l'objet nous incite à réfléchir sur la neutralité des valeurs promues par la dynamique d'attribution et l'activisme des récipiendaires. Difficilement contestable d'un point de vue empirique et moral, les solutions proposées par les Nobel sont-elles une alternative viable à la politique ? Cette question scande la question du rapport des prix Nobel à l'État : érigée en tribunal de la conscience mondiale dont la portée universelle conçoit la paix par le progrès, l'institution apparaît comme une remise en question de la raison d'État à propos de laquelle il est nécessaire de s'interroger. [...]
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