Un langage secret, opaque confère à celui qui en use un pouvoir sur celui qui ne peut le déchiffrer. Rester secret est l'un des attributs du pouvoir (pensons à l'histoire du berger Gygès que raconte Platon dans La République) ; mais des contrepouvoirs également. Leon Poliakov souligne effectivement que les séditions revêtent souvent la forme de sociétés secrètes, protégées par l'anonymat soigneusement entretenu de ses membres, et par les codes secrets qui en conditionnent l'accès (la Charbonnerie en fut l'archétype au XIXème siècle). Mais au delà de la fascination qu'il exerce, le secret permet au pouvoir de se mettre en scène, de se travestir et d'occulter son véritable visage. Le secret est par conséquent l'un des fondements du pouvoir, une des voies qu'il emprunte pour exercer son empire bien que le pouvoir, à travers ses espions, cherche perpétuellement à se renseigner sur le contexte dans lequel il évolue. En contrepoint, la transparence est une exigence démocratique, celle d'une souveraineté exercée en pleine conscience par des citoyens à la fois gouvernés et gouvernants. Les tyrans délibèrent dans l'ombre, le peuple libre se détermine au grand jour. Afin de déterminer l'intérêt général, celui ci doit être éduqué et renseigné, ne rien ignorer des éléments de l'affaire à délibérer. La transparence est devenue ainsi le leitmotiv de la réforme de l'Etat, la condition sine qua non de l'Etat de Droit. Cette exigence s'étend au pouvoir politique bien sur mais s'applique également au pouvoir scientifique, au pouvoir médical, au pouvoir judiciaire.
Néanmoins, un droit de savoir émerge, au risque de piétiner la vie privée. La transparence est un contre-pouvoir, mais risque également de fonder une nouvelle servitude, de donner de funestes prétextes à un nouveau genre de tyrannie.
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[...] Le caractère sacré du pouvoir fonde une partie de sa légitimité. Le phénomène est particulièrement vrai pour le pouvoir religieux. Le sacré, pour se distinguer du profane reste obscur, parfois volontairement hermétique. Eliette Abecassis rappelle ainsi que le Saint des Saints ou reposait l'Arche d'alliance, au cœur du temple de Jérusalem, restait clos et seul, le Grand-prêtre, une fois l'an, pouvait y accéder. Le pouvoir politique s'est longtemps appuyé sur des fondements surnaturels. Cette assise sacrée se nourrit du secret qui entoure le titulaire du pouvoir. [...]
[...] Ce qui est caché intrigue et intimide, c'est incontestablement l'un des fondements du pouvoir. Quelle ne fut pas la stupeur sacrée qui frappa les Japonais lorsqu'au lendemain des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, l'Empereur, véritable Dieu vivant, leur intima l'ordre, à la TSF, de cesser les hostilités. Etre caché, c'est être puissant, le pouvoir doit avoir sa part d'ombre. On peut d'ailleurs remarquer que le Prince est d'autant plus respecté et craint qu'il est éloigné : du jour ou Hiro-ito parla à la radio, l'Empereur avait quasiment cessé d'exister dans l'imaginaire nippon. [...]
[...] De manière plus prosaïque, un dictateur tel que Pinochet disait aussi que pas une feuille de papier ne bougeait au Chili sans qu'il le sache. II) La transparence, du contre-pouvoir à la coercition sociale L'exigence de transparence est conçue comme un contre-pouvoir inhérent à la conception démocratique de l'action politique. Elle s'étend désormais à l'ensemble des dimensions du pouvoir et même au-delà, ainsi qu'en témoigne l'emprise qu'elle exerce désormais sur la sphère privée. Or, paradoxalement, la transparence érigée en absolu névrotique pourrait- on dire à l'instar de Guy Carcassonne) porte en elle le germe d'une nouvelle servitude. [...]
[...] Afin d'offrir un aspect séduisant, il doit savoir déformer la vérité, en recourant ce faisant à la censure ainsi qu'à la propagande. Au-delà du discours de la communication que le pouvoir cherche à insuffler, celui-ci s'évertue au quotidien à inspirer le respect. Cela explique, que les gouvernants, au cours de l'histoire, aient multiplié les parades militaires, étalage de force et de prestige susceptible de renouveler la crainte et l'admiration du peuple. Le pouvoir politique ne pratique pas la transparence mais cherche au contraire à se mettre en scène. [...]
[...] Lever le secret autour du pouvoir politique est donc indissociable de la mutation (ce fut le grand œuvre des Lumières), du simple sujet au citoyen conscient de sa responsabilité et de son autonomie au sein de la Cité. On peut remarquer que l'action publique est désormais évaluée à l'aune de la transparence de ses rapports avec le souverain, c'est à dire le peuple. Il n'est qu'à citer ici la possibilité offerte à tout citoyen depuis maintenant plus de 25 ans de pouvoir consulter son dossier administratif. [...]
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