Les révolutionnaires français n'avaient pas oublié que la monarchie s'était jadis heurtée aux Parlements prétendant agir comme législateurs et administrateurs par leurs arrêts de règlements et l'usage du droit de remontrance. Et ils ont affirmé d'emblée le principe de séparation des pouvoirs. L'article 16 de la Déclaration de 1789 dispose en effet que « Toute société dans laquelle l'égalité des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Même si la distinction entre séparation des pouvoirs et séparation des fonctions est importante, même si, dans la Constitution de 1958, il est fait désormais état de «l'autorité judiciaire » et non du « pouvoir judiciaire », la division des tâches demeure fondamentale pour l'Etat français.
Cette considération inspire les rapports et l'indépendance qu'entretient l'autorité judiciaire avec chacun des autres pouvoirs politiques.
L'autorité judiciaire comprend deux sortes de magistrats : d'une part les magistrats du siège qui rendent les jugements ou les arrêts et qui détiennent l'ordre de décision au sein de l'ordre judiciaire ; d'autre part, les magistrats du parquet qui représentent auprès des tribunaux l'intérêt collectif de la société et dont le rôle consiste notamment à prendre des réquisition en matière pénale.
D'un point de vue constitutionnel, c'est surtout l'indépendance des magistrats du siège qu'il convient de garantir, car c'est d'eux que dépend en dernier ressort la liberté des personnes.
Il n'est pas interdit à un législateur de s'immiscer dans la fonction de juger (il y parvient par le vote de lois rétroactives, interprétatives ou de validation), mais la séparation semble en revanche vraiment institutionnalisée en sens inverse : l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 disposait que « Les juges ne peuvent sous peine de forfaitures troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. ». En quelque sorte, pour paraphraser la pensée révolutionnaire, nous pourrions dire qu'administrer la justice, c'est juger.
En 1966, c'est pourtant bien l'assertion d'un révolutionnaire, Camille Desmoulins, que reprend Jean-Marc Varault pour évoquer avec alarmisme le trait tyrannique de la justice gaullienne : « Ce sont les despotes maladroits qui se servent des baïonnettes : l'art de la tyrannie est de faire la même chose avec les juges. ». Alors que l'on doit souhaiter que le pouvoir de la justice et de ses représentants s'exerce avec permanence et sérénité, elle souligne comment celui-ci est en réalité perturbé par les interventions du pouvoir exécutif;
Aussi, depuis l'avènement de la Vème République, comment autorité judiciaire et pouvoir politique ont-ils tenté de se mettre à l'abri des pressions de tous ordres, satisfaisant ainsi à la condition d'indépendance des pouvoirs nécessaire à toute démocratie ?
Certes, grâce aux nombreuses garanties législatives et constitutionnelles qui s'efforcent de les protéger des pressions médiatiques et politiques, les tribunaux aujourd'hui ne sont plus totalement l'ombre du pouvoir politique comme ils ont pu l'être pendant la période révolutionnaire. Cependant, l'indépendance de la justice à l'égard du pouvoir politique reste encore très imparfaite, et une certaine défiance à l'égard des juges subsiste. Cela suggère d'ailleurs l'idée que le plus à craindre, à notre époque, n'est peut-être pas tant le lieu commun de l'ingérence du pouvoir politique dans l'autorité judiciaire, mais bel et bien l'ingérence de l'autorité judiciaire dans le pouvoir politique! On peut, en effet, considérer que juger l'administration c'est, en une large part, administrer…
Dès lors, si l'autorité judiciaire sous la Vème République cherche à se prémunir des attaques attentatoires à son indépendance (I), l'esprit gaullien de la Constitution et les multiples dérives judiciaires soulignent les imperfections de ces garanties et donc du principe d'indépendance (II). Mais finalement, avec l'augmentation sans précédent des pouvoir des juges, dans quelle mesure n'est-on pas ausi en train d'inverser la balance vers un contrôle judiciaire du pouvoir politique? (III)
[...] Ces dispositions s'inscrivent elles aussi dans un système d'établissement de garanties de l'indépendance de l'autorité judiciaire et de mesures dissuasives à l'encontre des atteintes à cette indépendance essentielle. Il est évident que ces mesures ne sont ni totalement efficaces ni totalement suffisantes. Il suffit, pour nous en convaincre, d'observer objectivement la façon dont elles sont respectées au quotidien, dans les média français par exemple. Toutefois, ce qui importe à ce point de notre réflexion, ce sont les tentatives bien réelles de mise à l'abri du pouvoir judiciaire, quelles que soient les réalités de leur mise en oeuvre. [...]
[...] Force est de constater que le contentieux administratif, qui n'existait pratiquement pas il y a trente ans, est devenu aujourd'hui essentiel pour le bon fonctionnement de notre société. Nous assistons donc à une sorte de moment pénal qu'on pourrait interpréter comme un triomphe de la société civile sur l'Etat ou comme le passage décisif de la souveraineté à la justiciabilité. La magistrature a pris appui sur ces évolutions de fond pour oser pousser ses points . et attaquer les politiques. [...]
[...] L'opposition à ce projet, particulièrement forte chez les parlementaires de droite, s'explique par la crainte que, du fait de l'indépendance du Parquet, le gouvernement, le gouvernement ne soit plus en mesure de définir et de faire respecter une politique pénale. C'est pourquoi le Président de la République a finalement décidé d'annuler la convocation du Congrès du Parlement, et d'abandonner la réforme, au moins provisoirement. Quoi qu'il en soit, protégés dans leur statut, leur intégrité, la progression au sein de leur carrière et autres garanties formelles, les représentants de la justice semblent avoir été mis à l'abri d'éventuelles pressions et trafics d'influences de la part du pouvoir politique et plus particulièrement de l'autorité exécutive. [...]
[...] D'après l'article 64 de la Constitution, c'est le Président de la République qui est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire Voilà qui peut étonner au premier abord ! Comment l'indépendance de la justice pourrait-elle en effet être garantie par un membre de l'exécutif ? Compte tenu des pratiques politiques de la V République, il n'est pas certain que cette garantie présidentielle soit de la plus grande efficacité Les pressions susceptibles d'être exercées sur les magistrats judiciaires peuvent en effet provenir du gouvernement, ou du Président même C'est pour cette raison qu'il est précisé dans la Constitution que le Président est assisté dans cette fonction par le Conseil Supérieur de la Magistrature. [...]
[...] Cependant, l'indépendance de la justice à l'égard du pouvoir politique reste encore très imparfaite, et une certaine défiance à l'égard des juges subsiste. Cela suggère d'ailleurs l'idée que le plus à craindre, à notre époque, n'est peut-être pas tant le lieu commun de l'ingérence du pouvoir politique dans l'autorité judiciaire, mais bel et bien l'ingérence de l'autorité judiciaire dans le pouvoir politique ! On peut, en effet, considérer que juger l'administration c'est, en une large part, administrer Dès lors, si l'autorité judiciaire sous la V République cherche à se prémunir des attaques attentatoires à son indépendance l'esprit gaullien de la Constitution et les multiples dérives judiciaires soulignent les imperfections de ces garanties et donc du principe d'indépendance (II). [...]
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