Pour comprendre le rôle et la nature du décret du 13 mai 1791, il nous faut saisir l'importance du débat qui précéda cette décision, en saisir les enjeux et en retracer les grands évènements. L'impact de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen fut considérable dans les colonies d'Outre-mer. Les colons se sentant menacés par les principes révolutionnaires insistèrent pour avoir à l'assemblée constituante un maximum de représentants pour agir avec force sur les députés et tenter de mettre les colonies hors du droit commun de la révolution. Il s'organisait en club, dont le plus connu est le club de l'hôtel Massiac. Puis ils nommèrent des assemblées coloniales où seuls les colons blancs furent électeurs et éligibles. Le 16 août 1789 Raymond, leader des hommes de couleur libres prononce un discours pour obtenir les droits politiques, à l'hôtel Massiac et rédige un mémoire. Le 22 Octobre les libres de couleur saisissent l'assemblée et jusqu'en mars 1790 tentent de faire valoir les trois premier articles de la déclaration des droits de l'homme et revendiquent leur application dans les colonies. Mais, ils se heurtent à une incroyable insensibilité de l'assemblée. En effet, le problème des colonies, le statut de ses résidants, colons, libres de couleur et esclaves posait le difficile et délicat problème de l'opposition entre intérêts nationaux et idéaux révolutionnaires...
[...] C'est en poursuivant, sur le discours de Robespierre répondant aux colons sur les menaces de rupture que Jaurès faille dans sa rhétorique et dans son analyse. Jaurès nous dit Fier langage, noblement idéaliste, mais lui-même faiblissait devant le problème de l'esclavage il le cite à nouveau : Mais objectait le parti des blancs, accorder aux hommes de couleur l'exercice des droits politiques, c'est diminuer le respect des esclaves pour leurs maîtres ! Objection absurde, car les libres de couleur aussi sont propriétaires d'esclaves, et les traiter de la même manière (esclaves et libres de couleur) c'est rendre leur cause presque commune Il poursuit (Jaurès) en disant : Ainsi Robespierre, lui aussi prenant par un autre bout le raisonnement de Raymond, insinue qu'il est habile et politique de séparer par un traitement différent les esclaves et les libres de couleur En réalité, Robespierre ne prend pas ici parti sur l'esclavage, il répond à une objection faite par les colons sur l'égalité des droits politiques. [...]
[...] La revanche de Barnave sur la législation du 23 septembre : Pour les députés coloniaux, les grands colons blancs propriétaires et le club Massiac, le coup est dur. Les députés coloniaux renoncent à assister désormais aux séances de l'assemblée. Considérant les décrets du 13 et 15 mai comme une infraction des décrets du 8 mars et du 12 octobre de l'année précédente. Un appel général des colons aux députés de quitter l'assemblée, et de rejoindre les colonies pour y préparer une contre- révolution parlementaire, provoqua sur l'assemblée un vent de panique dont profita Barnave Il exposa les troubles survenus à Saint-Domingue dans lesquels il voyait une conséquence claire des décrets de mai. [...]
[...] À force de pression et de manipulation, les colons obtinrent par l'entremise de Barnave une nouvelle discussion sur le décret. Le 23 septembre fut voté par 307 voix contre 191 le décret du comité colonial dans son ensemble, et le texte du décret fut à nouveau modifié, et conférait aux colonies une entière autonomie sur leur politique intérieure (cf livret rose, p41 bas de page). La constituante, nous dit Deschamps abandonnait donc définitivement la question coloniale qu'elle léguait à la législative avec de singulières aggravations. [...]
[...] Mais la question des noirs, celle de l'abolition ou du maintien de l'esclavage avec la proposition des colons qui réclamaient l'entière autonomie des colonies, nous dit Deschamps se trouvait cette fois posée à la constituante de façon isolée et indépendante. L'analyse de Deschamps nous semble assez juste. En effet de toute évidence le débat colonial avait scindé la France en deux camps opposés et introduit la question de l'esclavage dans les débats, question qui planait comme une menace sourde que personne n'osait entendre. Pourtant Deschamps ne prend pas soin de citer les débats dans leur intégrité. [...]
[...] Il écrit son ouvrage en 1898 soit 60 années après l'abolition de l'esclavage alors que les colonies continuent d'exister et se sont même multipliées. Dans ce contexte, Léon Deschamps adopte les idées de son temps et se situe lui-même ans un courant de pensée favorable à l'œuvre colonisatrice qu'il expose avec engouement dans son histoire de la question coloniale en France. Aussi, les abolitionnistes tout comme les grands colons blancs ont donc commis une erreur de diagnostic : le maintien de l'esclavage n'était pas une condition nécessaire à la survie des colonies ; bien qu'il l'ait été dès 1848 substitué aux travaux forcés, sous la houlette d'un discours paternaliste de libération du corps et de l'esprit par le travail ; l'esclavage tel que l'entendait littéralement nos constituants de 1791, n'était plus à l'ordre du jour. [...]
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