Peut-on penser la Société sans l’Etat ?

Résumé du document

Si les termes « Société » et « Etat » représentent deux concepts aussi abstraits et contingents l'un que l'autre en tant qu'ils ont été conçus et théorisés par l'homme en vue de l'organisation politique, force est de reconnaître que le second est plus difficile à définir que le premier. En effet, alors que la société peut être philosophiquement définie de façon assez classique comme un ensemble d'individus vivant en groupe organisé et caractérisé par ses lois, ses règles et ses institutions, la notion d'Etat apparaît plus sophistiquée et plus complexe. C'est pourquoi, par exigence de précision, on choisira la définition très complète qu'en donne Dominique Colas dans son dictionnaire de la pensée politique : « l'Etat est une forme de domination où un territoire et sa population sont contrôlés par une instance, dont le moyen est la détention du monopole de la violence physique légitime et qui remplit des fonctions multiples ».

Extraits

[...] Si bien que la véritable question à se poser en dernier lieu serait sans doute de savoir si l'Etat, tout simplement, doit vraiment influer sur le domaine économique. En somme, l'Etat a su clairement se rendre indispensable en apportant la paix au sein des sociétés qui l'ont choisi (mais en leur sein seulement, car les différents Etats, en trois siècles, n'ont cessé d'entrer en conflit les uns avec les autres), mais aussi la prospérité économique, suscitant d'ailleurs d'importantes critiques sociales quant aux modalités de cette dernière. [...]

[...] Aux origines la philosophique politique, le concept d'Etat n'existe pas encore : il se confond dans la réalité de la cité athénienne Il importe d'abord de mettre en lumière le fait qu'aux origines de la pensée politique, le concept d'Etat n'existe pas encore, car il se confond dans la réalité de la cité athénienne. En effet, chez les Grecs, qui représentent pourtant le modèle politique dont nos démocraties modernes se revendiquent le plus volontiers, le concept d'Etat n'existe tout simplement pas. Car pour Aristote, si l'homme est dans son essence même un animal politique qui de ce fait cherche naturellement la vie en société, il le fait sans être encadré par une autorité supérieure : dans la Cité démocratique, le pouvoir de légiférer appartient directement au corps privé des hommes libres. [...]

[...] Est-il vraiment indispensable d'imposer au-dessus de la multiplicité des individus un pouvoir dominant ? Par quelle sorte de procédé l'Etat peut-il prétendre être légitime pour chapeauter de la sorte toute une société ? Autant d'interrogations qui débouchent sur les observations suivantes : il s'agira d'abord de démontrer, par une approche théorique avec à l'appui des exemples historiques, que l'Etat et la Société ne sont pas les deux facettes d'un même concept ; puis de souligner que s'il nous est si difficile aujourd'hui de penser la Société sans l'Etat, c'est parce que ce dernier a depuis quelques siècles tiré son utilité et donc sa légitimité de la régulation qu'il permet tant sur le plan des relations entre individus que sur le plan de l'économie ; pour enfin se demander si un éventuel recul de l'Etat n'est pas possible, voire déjà en cours (III). [...]

[...] Ainsi, non seulement les Guayakis n'ont aucun besoin de quelque organisation étatique que ce soit pour superviser les moyens de production, mais en plus il est possible de considérer au contraire que leur société se construit sur un refus de toute émergence d'une autorité supérieure, ce qui sape à la base la possibilité de création d'un Etat. Dans un autre registre, l'Islande médiévale, du Xe au XIIIe siècle, fournit un excellent exemple de société ayant su s'organiser par elle-même de façon économique et politique sans jamais avoir recours à la structure étatique, d'autant que les conditions de vie dans le pays furent à ce moment-là au moins aussi bonnes, sinon meilleures, que dans le reste de l'Europe sur la même période. [...]

[...] Dès lors, ce n'est plus seulement la société qui peine à se penser sans l'Etat, c'est aussi l'individu. [...]