Le terme de « système totalitaire » est apparu pour la première fois sous la plume de Giovanni Amendola, un opposant au fascisme italien, en 1923. Il a donc d'abord une connotation péjorative, jusqu'à ce qu'il soit rapidement repris par les théoriciens du fascisme à leur compte, notamment par Giovanni Gentile. L'adjectif se transforma en substantif avec les premiers théoriciens du totalitarisme ; très tôt, pendant l'entre-deux-guerres, certains penseurs effectuèrent des tentatives de rapprochement entre communisme et fascisme, un peu plus tard entre le nazisme et le communisme. C'était les débuts de la définition d'un concept, que ses théoriciens voulaient politique, c'est-à-dire fondateur d'une nouvelle catégorie de régime politique. Le but était d'obtenir un concept valable pour caractériser dans l'abstrait les spécificités du totalitarisme par rapport à ce que l'on connaissait jusque là et pour englober dans la pratique les trois ou principalement les deux régimes totalement inédits mis en place dans la première moitié du XXème siècle, le nazisme et le stalinisme. Cependant, ça n'est absolument pas un concept communément admis ; il a été, et est toujours, très critiqué, et beaucoup remettent en cause sa pertinence. Lorsque Raymond Aron professa son cours célèbre Démocraties et totalitarismes à la Sorbonne en 1965, deux des trois questions fondamentales qu'il posa comme problématiques étaient d'une part « est-ce que le totalitarisme relève d'une catégorie singulière ou se réduit-il à la réédition de phénomènes historiques identifiés ? » et d'autre part « Tous les totalitarismes doivent-ils justifier de la même approche, en particulier le nazi et le soviétique ? ». Ces questions sont encore d'actualité de nos jours. Le totalitarisme est-il une singularité historique (c'est-à-dire directement lié au national-socialisme) ou peut-il servir de concept théorique pour caractériser un régime politique ? En quoi et pourquoi la conceptualisation du totalitarisme a-t-elle posé tant de problèmes ?
Si la modernité des régimes nazi et soviétique ont fait qu'il a semblé nécessaire d'inventer un nouveau concept pour pouvoir les caractériser (I), il fut immédiatement refusé à la fois par des mouvements idéologiques et par certains historiens (II). Cependant malgré ses insuffisances qui obligent à des précautions, c'est un concept qui apparait désormais comme indispensable à la compréhension du passé.
[...] Ils ont été parmi les opposants les plus importants à l'Allemagne nazie, il leur semble donc impensable qu'on les rapproche d'une manière ou d'une autre de leurs anciens ennemis. Le pacte germano-soviétique avait pour preuve constitué une très grande confusion et un certain désarroi parmi les militants communistes pendant la courte période de son application. Pourquoi les non-marxistes de gauche n'ont-ils alors pas réagi ? Significativement, beaucoup de penseurs de gauche qui pourtant dénonçaient le stalinisme, se refusaient à le rapprocher du nazisme. C'est l'exemple pris par Claude Lefort des trotskistes. [...]
[...] C'est donc le fascisme italien qui le premier se targuera d'être un Etat totalitaire. Certains penseurs de droite de l'entre-deux-guerres comme Jacques Bainville dénoncent déjà les Etats totalitaires en rapprochant fascisme, nazisme et bolchevisme (les penseurs de gauche ne prêtaient alors qu'une attention faible à ce nouveau concept). Après la Seconde guerre mondiale, ce sont les libéraux qui s'emparent du concept de totalitarisme pour caractériser le régime communiste, seul encore debout des trois régimes de départ. A ce moment là, la gauche considère le concept de totalitarisme comme un concept de droite comme l'a analysé Claude Lefort, qui ne servirait qu'à mieux cacher la domination impérialiste de la bourgeoisie en discréditant le communisme. [...]
[...] Celui-ci voit dans le rapport aux Lumières la distinction principale que l'on peut faire entre la terreur stalinienne et la terreur nazie, le stalinisme étant leur héritier et le nazisme leur fossoyeur ce que le concept de totalitarisme ne permet pas de rendre. D'autres historiens vont mettre en avant les différences entre nazisme et fascisme pour montrer le caractère inutilisable du concept de totalitarisme. - Différences légères : pas exactement la même politique économique (moins centralisée dans le cas italien), ni la même politique culturelle (notion d'art dégénéré qui n'existe pas sous le régime mussolinien) et pas exactement les mêmes références religieuses (anticlérical pour Mussolini, mythologies antichrétiennes pour Hitler). [...]
[...] Pour lui, le concept de totalitarisme est plus proche du livre d'Orwell 1984 que des réalités du fascisme et du communisme. Pour autant, le concept reste pour Traverso incontournable pour la théorie politique, soucieuse de dresser une typologie des formes de pouvoir, et pour la philosophie politique, confrontée à la nouveauté radicale des régimes visant l'anéantissement du politique ; insuffisant pour l'historiographie, confrontée à la concrétude des événements.[]» C'est un garde-fou de la pensée c'est-à-dire que malgré ses défauts, il permet de comprendre le passé, en symbolisant de lieux de mémoire, de redéfinir les concepts de démocratie, d'égalité et de liberté et même de communisme, qui selon lui ne peuvent signifier la même chose après l'expérience totalitaire : il serait dangereux et impossible de penser la démocratie sans prendre en compte qu'elle a bien failli disparaître, ce qui permet d'en tirer les leçons. [...]
[...] Ces questions sont encore d'actualité de nos jours. Le totalitarisme est-il une singularité historique (c'est-à-dire directement lié au national-socialisme) ou peut-il servir de concept théorique pour caractériser un régime politique ? En quoi et pourquoi la conceptualisation du totalitarisme a-t-elle posé tant de problèmes ? Si la modernité des régimes nazi et soviétique a fait qu'il a semblé nécessaire d'inventer un nouveau concept pour pouvoir les caractériser il fut immédiatement refusé à la fois par des mouvements idéologiques et par certains historiens (II). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture