On pourrait penser que l'exclusion des citoyens du processus décisionnel en politique étrangère est un héritage des régimes non démocratiques imposés par des considérations d'ordre pratiques mais aussi théoriques : le souverain disposerait seul de la capacité de déterminer ce qui est bien ou mal pour la cité, il lui revient de déclarer la guerre ou de faire la paix.
En fait la prérogative institutionnelle en matière de politique étrangère apparaît très tôt dans l'histoire. En 682 av.J.C, lorsque l'oligarchie supplante la monarchie à Athènes, le pouvoir politique est réparti entre trois magistrats : les archontes : l'archonte-roi ou « basileus », l'archonte éponyme et surtout l'archonte polémarque qui exerce l'intégralité des fonctions militaires. Bien que cette charge fût annuelle, l'archonte n'avait pas à rendre compte de sa gestion, ce qui excluait donc toute possibilité d'intervention des citoyens dans le processus décisionnel. En 501 av J.C, Clisthène remplace cette charge par celle de « stratège » qui est élu démocratiquement et doit rendre compte de ses actes mensuellement à l'ecclésia. Mais très rapidement le commandement suprême est confié à un seul stratège qui peut monopoliser les pouvoirs politiques et militaires comme l'illustre un titre fréquemment appliqué à Périclès, celui de Stratège autokrator.
Paradoxalement la seule cité grecque à établir un gouvernement d'assemblée en matière de politique étrangère est justement celle qui s'est distinguée par sa plus grande aliénation vis-à-vis des citoyens à savoir Sparte. Dans cette cité qui est donc régie selon les lois de Lycurgue, très souvent cité par Rousseau dans son Contrat Social, la politique étrangère est répartie entre plusieurs institutions à savoir les deux rois de Sparte et les 5 éphores élus pour un an par l'assemblée du peuple. En théorie, la politique étrangère est une prérogative royal mais du fait du caractère partagé du pouvoir royal (les deux rois viennent d'une maison distincte), et de la responsabilité judiciaire du monarque devant les assemblées (qui peut aller jusqu'à la condamnation à mort), les éphores s'approprient au fur et à mesure le privilège de mise en œuvre de la politique étrangère.
Deux constats s'imposent : le premier c'est que dès l'Antiquité, la participation directe des citoyens au processus décisionnel en politique étrangère est exclue mais les citoyens ont la capacité de nommer la ou les personnes responsables de la mise en œuvre de la politique étrangère (archonte polémarque/stratège/éphore).
Le second constat c'est que la spécialisation en politique étrangère apparaît donc très tôt et semble consister en un héritage aristocratique (au sens de « gouvernement des meilleurs ») bien que les mécanismes de contrôle ne soient pas absents (responsabilité judiciaire du stratège et du roi).
Mais dans tous les cas, l'opinion publique ne dispose d'aucun moyen institutionnel direct pour faire entendre sa voix dans le processus décisionnel alors que comme le souligne Rousseau, les citoyens seront toujours les premiers à subir les coûts de la guerre.
A la même époque Platon semble obéir au même principe aristocratique de compétence lorsqu'il cherche un « philosophe-roi » en la personne de Denys le Jeune de Syracuse. Dès les prémisses de la philosophie politique, le principe de prérogative s'affirme.
[...] Ainsi le sabordage d'une plate-forme pétrolière par GreenPeace (c'est-à-dire un réseau associatif transnational exprimant une partie de l'opinion publique) est aussi un signe de participation volontariste à un processus qui s'impose jusque là de façon contraignante et antidémocratique. Ordre international et démocratisation (Marisol Touraine) Il est notable que s'il n'est pas question de discuter aujourd'hui de la prérogative de l'Etat en politique extérieure, cette prérogative ne le dispense pas de mesurer l'impact de ses choix sur l'opinion, de l'anticiper voire de le prévenir si besoin est. [...]
[...] Ainsi, chose intéressante à noter, les minimalistes disent non à l'expression de l'opinion publique en politique extérieure (car cela nuirait à l'exercice d'une démocratie éclairée), tout en faisant dans le même temps le constat du défaut d'information et d'instruction du public de masse, ce qui est la tâche de la démocratie. Ainsi au nom de la démocratie, on condamne l'opinion alors que c'est la démocratie elle-même qui ne pourvoit pas à l'égalité de l'institution. Voilà qui, à l'évidence, ressemble fort à un cercle vicieux Converse et Bourdieu se distinguent principalement au sein du courant minimaliste par le procès qu'ils dressent des sondages. [...]
[...] Le cas échéant, la nécessaire raison d'Etat devient une pratique discrétionnaire par trop commode. Bibliographie BATTISTELLA Dario, Théorie des Relations Internationales Presses de Sciences Po BATTISTELLA Dario, De la Démocratie en politique extérieure Le Débat, janvier-février 1996. CHARILLON Frédéric (dir.), Politique Etrangère, Nouveaux Regards Presses de Sciences Po COHEN Samy, Diplomatie et démocratie Le Débat, janvier-février 1996. DELMAS Philippe, La Démocratie par l'économie Le Débat, janvier- février 1996 LA BALME Nathalie, Partir en guerre Autrement LOCKE John, De la prérogative chapitre XIV, Second traité du gouvernement civil. [...]
[...] Deux citations à l'appui : Jacques Chaban-Delmas : les domaines réservés du président de la République et François Mitterrand : La dissuasion (nucléaire) c'est moi Renouvellement du postulat de l'incompétence populaire Le débat intellectuel et scientifique sur la question de la place de l'opinion publique dans les choix politiques extérieurs est polarisé par le débat Idéalistes/Réalistes : Pour les idéalistes, la prise en compte de l'opinion publique dans les choix de politique étrangère est une évidence qui répond à une exigence démocratique de consultation du peuple. La prise en compte de l'opinion publique permettrait de limiter l'arbitraire potentiel du souverain, qui plus est une gestion de la politique étrangère plus proche du citoyen favoriserait le règlement des conflits. Les Réalistes, dont l'auteur le plus représentatif est Hans J Morgenthau, de leur côté se veulent les héritiers philosophiques de Hobbes, Locke et Tocqueville. [...]
[...] On en revient ainsi à la conclusion bien connue d'Alexis De Tocqueville : il faut que la politique étrangère soit conduite hors de l'influence journalière et directe du peuple Les élus, législateurs, sont également exclus de la prérogative de la politique étrangère et cela depuis John Locke en raison de leur lenteur et de leur tendance au bavardage alors que la promptitude est de rigueur (Second traité du Gouvernement, De la Prérogative). La pensée libérale ne dit pas autre chose en restreignant les fonctions de l'Etat à la sécurité intérieure et extérieure. Il semblerait donc qu'en matière politico diplomatique le principe de compétence se substitue à celui de souveraineté nationale. [...]
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