Justice, médias, plateaux de télévision, victime, banalisation de la justice, médiation institutionnelle, affaires politico-financières
Le 19 décembre 1894, l'affaire Dreyfus fut jugée une première fois devant le Conseil de guerre ; quatre ans plus tard, le capitaine Dreyfus fut rejugé indirectement lors du procès Esterhazy. Afin d'extraire l'affaire des juridictions militaires, l'écrivain Émile Zola publia une lettre intitulée « J'accuse » dans l'Aurore du 13 janvier 1898, ce qui lui valut des poursuites judiciaires civiles pour diffamation. Grâce à cet article, Émile Zola parvint à précipiter les événements et à provoquer dans l'année la révision du procès de 1894. Voici un célèbre exemple de l'influence que peuvent exercer les médias sur le processus judiciaire. Cette affaire amorce une tendance, qui se poursuit toujours, de médiatisation de certaines affaires judiciaires et de surveillance rapprochée des institutions de justice par les divers organes de presse et médias.
[...] Cependant, de nombreuses possibilités de dérogation existent, introduites par des lois subséquentes, tandis que dans les faits, les autorités judiciaires accordent souvent des autorisations d'enregistrer les débats (notamment dans le cadre de la réalisation de films, documentaires, ou reportages). Cette contradiction entre droit et faits a conduit à porter à l'ordre du jour la question de l'adoption d'une loi autorisant la présence de caméras et de micros dans les salles d'audience ainsi que la captation et la diffusion des débats judiciaires, question sur laquelle la Commission Linden fut amenée à se prononcer. [...]
[...] Cette distanciation est vue comme une nécessité afin de protéger la justice de la surmédiatisation dont elle est victime. À ce propos, le sociologue Luc Boltanski écrit que le magistrat est une généralité incarnée. Il doit faire oublier son corps, parce que son corps, qui lui est propre, ne peut soutenir que des intérêts particuliers. ( ) C'est en faisant remonter au premier plan les intérêts que le magistrat qui faillit à sa tâche doit au fait qu'il possède un corps, dont les satisfactions lui appartiennent en propre et ne peuvent, par définition, être partagées avec d'autres, que l'on parvient, avec la force de conviction la plus grande, à dévoiler sa misère, c'est-à-dire sa singularité, sous les apparences de la grandeur que lui confère la prétention à servir le bien commun Ramener la justice sur la sphère publique et la priver de l'intermédiaire de ses institutions entraîne, selon Luc Boltanski, un danger de régression à l'état de nature lié à ce refus des institutions : Désormais, la justice est recherchée sur la place publique, hors de la médiation de la règle et d'un espace propre pour la discussion, c'est-à-dire sans le secours, sensible et intellectuel, d'un cadre qui la réalise». [...]
[...] Le juge d'instruction qui découvrirait de nouveaux faits doit en informer le parquet qui pourra alors lui adresser un réquisitoire supplétif, poursuivre une autre voie, ou encore classer sans suite. À cette étape peuvent apparaître des tensions entre parquet et siège, et c'est dans ce cadre que la médiatisation peut permettre au juge d'instruction d'étendre lui-même sa saisine. Enfin, la presse peut être un moyen pour un avocat de forcer à la réouverture d'un dossier ; ainsi, alors que la cause d'Omar Raddad, défendu par l'avocat Jacques Vergès, semble perdue devant les assises, Me. [...]
[...] Cette inconséquence contribue de manière plus générale à décrédibiliser les médias. De même, certains ont pu avancer que si les journalistes en France n'hésitent pas à hausser la voix pour critiquer fortement l'action de la justice, il en demeure que le niveau de culture judiciaire des journalistes français est dans l'ensemble moins élevé que celui de leurs confrères américains par exemple. Ainsi, Stéphane Durand-Soufflant a pu dire des journalistes français qu'ils cherchent surtout, lorsqu'ils recueillent des informations ayant trait au fonctionnement de la justice ou à une affaire, à confirmer leurs propres préjugés. [...]
[...] Via cette mise en scène, les médias promeuvent une banalisation de la justice 1. Délocalisation de la justice dans les médias et disqualification du procès et de la médiation institutionnelle La mise en scène de la justice conduit à sa banalisation, laquelle se manifeste notamment dans le traitement par les médias de la figure du juge. Les médias sont en effet à l'origine de l'émergence de l'image du petit juge (par exemple dans l'affaire du petit Grégory Villemin) qui ne va pas sans présenter certaines ambivalences. [...]
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