Dans Le nouvel âge des inégalités, Pierre Rosanvallon et Jean-Paul Fitoussi distinguent 4 étapes dans le développement des sociétés modernes occidentales : la fin du XIXème siècle marque la fondation de l'Etat moderne, autour de la définition théorique et politique de sa population et de son territoire (à rattacher au concept de nation). Le XIXe siècle fut la période de l'émancipation de l'individu, avec la démocratisation progressive de la société, et l'imposition de l'économie de marché. La fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle marquèrent « l'invention du social », avec le développement des syndicats (parallèle à l'avènement des idées socialistes) et la prise en compte de la question sociale par les dirigeants politiques (en France à partir du Second Empire). D'après les auteurs, les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 marquent la 4ème étape, avec le développement et la persistance d'un chômage de masse et d'inégalités perçues comme illégitimes et injustes, corollaires de la crise de l'Etat providence, le protecteur infaillible sous les 30 Glorieuses. Témoignent de ce malaise les mouvements sociaux récurrents (95, 2003, 2004), le perceptible malaise des banlieues défavorisées, ainsi que la crise de la représentation politique et la montée en puissance des extrêmes et des discours populistes.
Parler d'un nouvel âge des inégalités, c'est signifier l'entrée dans une ère nouvelle de l'évolution des société occidentales, en termes plus pratiques de changements structurels, profonds et durables et non conjoncturels. Il nous faudra donc montrer en quoi la situation actuelle nous permet de dire que nous sommes bel et bien entrés dans cette nouvelle ère, dans cette 4ème étape.
Ainsi, en quoi peut-on dire que nous sommes entrés dans une nouvelle ère économique et sociale marquée par les inégalités ?
Nous limiterons notre analyse au cas français, celui-ci étant par ailleurs particulièrement représentatif des évolutions récentes des sociétés occidentales.
Dans une première partie nous montrerons que la persistance et la multiplication des inégalités sociales sont liées aux métamorphoses structurelles de l'économie, induites par la mondialisation et une économie nationale morose. Puis dans une seconde partie nous exposerons les implications sociales et politiques de ces bouleversements structurelles de l'économie.
[...] La montée du chômage de masse, la désyndicalisation et l'éclatement du milieu salarial affaiblissent la position des syndicats de défense des salariés qui se retrouvent face à un combat déséquilibré. La conjoncture économique et les mutations du système de production accentuent donc les nouvelles inégalités par le bouleversement qu'elles impliquent sur les revenus et l'emploi La crise de l'État providence : Face à ce nouvel âge des inégalités, l'État providence faillit à sa mission. Il est en effet confronté à une situation qui remet en cause son organisation. [...]
[...] Impliquées tant par un contexte économique morose que par une crise de l'État providence en perte d'identité depuis la fin des 30 Glorieuses, elle engendre une crise identitaire de l'individu et de la société. Cette panne économique et sociale pose de gros problèmes aux partis politiques. La droite tente de libéraliser l'économie, mais se heurte à une résistance de la population, tandis que la gauche peine à se trouver une identité et un projet véritable depuis la chute du Mur de Berlin et de l'URSS. Sources - Le nouvel âge des inégalités, Pierre Rosanvallon, Jean Paul Fitoussi, éd. Seuil essais. [...]
[...] Pierre Bourdieu, qui a consacré de larges travaux à la critique empirique du modèle méritocratique républicain, parle de noblesse d'État». Si ce phénomène n'est pas nouveau donc, son appréhension par le corps social est d'autant plus virulente que cette élite privilégiée s'avère incapable de mettre fin aux difficultés rencontrées par le peuple. La panne du politique tient aux bouleversements structurels, tant économiques que sociologiques déjà évoqués : les régulateurs sociaux et politiques économiques de relance traditionnels ne fonctionnent plus. L'échec de la relance keynésienne engagée lors des premières années de la présidence socialistes (1981-1984) est symptomatique de ce bouleversement de la machine économique, lié à la mondialisation des échanges, et au règne d'un libéralisme déréglementé (désengagement de l'État dans l'économie en Grande-Bretagne et aux États-Unis, politique de rigueur monétaire en Allemagne) dans les grandes nations occidentales. [...]
[...] On assiste à un déplacement des usines de fabrication des produits manufacturés vers des pays du Sud tels que les NPIA (Chine, Inde, Thaïlande). Et ce sont les pays développés qui en payent le prix : en 20 ans, on estime à le nombre d'emplois détruits en France suite à des délocalisations. C'est d'autant plus important que ces suppressions d'emplois touchent des secteurs entiers de l'économie, que ce soit par exemple le textile ou l'industrie du jouet. Cependant, cette division internationale du travail n'est pas la seule raison de la montée des inégalités en France. [...]
[...] Selon une enquête du sociologue Serge Paugam, réalisée d'après des données statistiques et des témoignages de salariés, l'intégration par le travail est toujours plus incertaine : l'intégration disqualifiante (insatisfaction des conditions de travail et instabilité de l'emploi) touche aujourd'hui 20% des salariés, selon une typologie de l'intégration par le travail. Selon cette même typologie des salariés connaissent aujourd'hui des difficultés professionnelles. L'identité individuelle, qui se construit en effet en relation à des repères sociaux stables, relativement à des structures durables de la société, est mise en difficulté par l'actuelle déstructuration du champ social. Cela isole considérablement l'individu, et cela ajoute des effets psychologiques aux inégalités, car le sentiment d'injustice accroît leur influence sur les acteurs sociaux. [...]
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