Si la tradition politique française se fonde sur une vision volontariste de l'intérêt général, celle-ci a mené l'Etat à une crise d'efficacité et de légitimité (I) dont il ne peut se relever, au temps de l'émergence des questions économiques dans le champ politique, qu'au prix d'une redéfinition pragmatique et libérale de la notion (II)...
[...] Le concept d'intérêt général étant substantiellement fluctuant, un principe plus qu'une règle précise, sa définition au fil des gouvernements constitue un enjeu de pouvoir. Dès l'époque des Lumières, deux conceptions de l'intérêt général s'affrontent. L'une, d'inspiration utilitariste, ne voit dans l'intérêt commun que la somme des intérêts particuliers, laquelle se déduit spontanément de la recherche de leur utilité par les agents économiques. Cette approche, non seulement laisse peu de place à l'arbitrage de la puissance publique, mais traduit une méfiance de principe envers l'Etat. [...]
[...] Cette conception de l'intérêt général irrigue la pratique politique française depuis la Révolution et l'Empire, contribuant puissamment à la maturation de la démocratie française. L'intérêt général est défini par la volonté générale : c'est au Parlement qu'il appartient donc de la définir. L'intérêt général comme source de légitimité pour le pouvoir démocratique et comme fondement du lien social irrigue donc le système de séparation des pouvoirs. Non plus que le pouvoir arrête le pouvoir pour sauvegarder les libertés et les intérêts individuels comme chez Montesquieu : le Parlement vote la Loi, expression de la volonté générale, que le pouvoir exécutif ne saurait que mettre en œuvre de façon quasi-mécanique, sous le contrôle du juge. [...]
[...] L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Aussi la tradition libérale ne reconnaît-elle un intérêt général que pour lui assigner une définition restrictive en terme de marges de manœuvre de l'Etat : l'intérêt général se limite à l'agrégation des intérêts particuliers, agencés par l'Etat de façon à ce que leur coexistence soit possible, sans but plus volontariste. La richesse des individus s'agrégeant en richesse des Nations l'intérêt général ne doit pas être détaché des intérêts particuliers : la main invisible consubstantielle à l'existence d'un marché suffit à donner de la cohérence à un ensemble social. [...]
[...] La notion d'intérêt général Sémantiquement, l'apposition du qualificatif général au nom d'« intérêt peut paraître oxymorique, tant le sens commun entend l'intérêt comme une chose privée, particulière. Les intérêts des différents membres d'une communauté ne sont pas a priori supposés se fondre en un même intérêt. L'existence d'un intérêt commun ne semble donc envisageable que dans le domaine partagé des membres d'une communauté, la chose publique, le champ politique. Aussi l'intérêt général est-il l'objet de la politique. Historiquement, la notion d'intérêt général naît au XVIIIème siècle : l'intérêt général est donc une invention des Lumières. Il désigne le but ultime assigné au gouvernement d'une Nation. [...]
[...] La légitimité technico-économique, sous couvert d'une politique, qui permettait l'onction sacrée de la déclaration d'utilité publique constituait le rituel de l'intérêt général. Cette sorte de mythologie a suffi à rendre acceptable la plupart des grands projets d'aménagement des trente glorieuses. Ce schéma, fondé sur la puissance symbolique de l'intérêt général, ne fonctionne plus atermoiements qui entravent la construction du TGV-est ou du canal Rhin-Rhône en sont un témoignage robuste. Ce phénomène a été étudié, en sociologie, en tant que concept émergent dans les années 1990 en France, vingt ans après les Etats-Unis ; il s'agit du syndrome NIMBY (not in my back yard). [...]
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