Hegel semble nous dire que l'histoire réelle d'une nation ne commence qu'à partir du moment où celle-ci acquiert un Etat. Un tel postulat n'est pas sans soulever certaines interrogations dans le champ de la sociologie politique. Pourtant la sociologie jusqu'à une période récente s'est peu intéressé à la question nationale. Dans la tradition de pensée Durkheimienne la nation n'est pas considérée comme un objet légitime. Seul Marcel Mauss y consacre un texte resté inachevé « la Nation » en 1920 dans lequel il définit la nation comme « une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir central stable, permanent, à frontières déterminées, à relative unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l'État et à ses lois. » Max Weber ne s'y intéressa également que de façon partielle au travers du prisme des constructions de groupes ethniques dans le tome 1 d'Economies et Sociétés. Le déficit chronique de recherche sociologique en France sur la question nationale ne prendra fin que dans les années 1980 décennie durant laquelle les principaux ouvrages anglo-saxons traitant de la question sont traduits en français. La réflexion sociologique sur cette question s'avère pourtant fondamentale quant à la compréhension de la formation des Etats-nations modernes et de la nationalisation de l'identité politique. Définir la nation et le nationalisme, comprendre le processus d'identification nationale, saisir les interrelations de ces concepts, c'est ce à quoi se livrent E. Gellner et E. Hobsbawm tous deux auteurs britanniques contemporains, dans leurs ouvrages respectifs portants le titre de Nation et nationalismes.
Ces deux auteurs introduisent leur propos par un effort de définition du terme de nation et du vocable qui s'y rattache afin de circonscrire la réalité de la nation et du sentiment national. De cet effort de circonscription résulte une rupture avec les courants d'analyses qui dominaient jusqu'ici la recherche sur la question nationale. Gellner et Hobsbawm s'accordent sur l'illusion de fournir à la nation une définition qui recouvrirait l'ensemble de ses extensions. La nation ne prend une valeur normative que lorsqu'elle est liée à l'apparition de l'Etat-nation. Ainsi nos deux auteurs se penchent d'avantage sur l'évolution de la perception de la nation et de sa relation avec le nationalisme qui apparait au cours du processus de construction historique de l'Etat-nation, que sur ce qui constitue la nation en elle-même. Le nationalisme est donc envisagé ici dans sa version politique traditionnelle, c'est-à-dire comme mouvement unificateur tendant à la création de l'Etat-nation moderne tel qu'il apparait en Europe au 19ème siècle. Dans quelle mesure pouvons-nous apprécier la contribution de ces ouvrages à la question nationale dans le champ des sciences sociales ? Quels sont leurs apports, quelles ruptures opèrent-ils mais aussi quelles sont les limites et les critiques auxquelles leurs ouvrages peuvent être soumis ? Nous nous attacherons succinctement dans un premier temps à souligner la rupture opérée par les auteurs quant à la définition et à la théorisation des concepts de nation et de nationalisme. Nous tâcherons ensuite de restituer leurs schémas respectifs analytiques et explicatifs de l'émergence du nationalisme jusqu'à la construction de l'Etat-nation. Nous accentuerons notre étude sur les apports positifs de tels schémas autant que sur leurs limites. Enfin nous questionnerons le bien-fondé de leurs affirmations quant au nationalisme à la fin du 20ème siècle et à son avenir.
[...] C'est donc le nationalisme qui crée la nation que les auteurs envisagent dès lors comme une communauté imaginée au sens de celui donné par Benedict Anderson. Cette communauté imaginée est le produit d'un certain nombre de vecteurs de l'idée nationale mis en place par les Etats modernes et qui relèvent d'une nécessité propre à une conjoncture historique particulière : l'industrialisation de la société selon Gellner, la modernisation et la démocratisation de la vie politique selon Hobsbawm. Chez Gellner le système d'éducation centralisé et régulé par l'Etat constitue le vecteur principal à l'idée de nation comme communauté unie et homogénéisée par la diffusion d'une haute culture nationale. [...]
[...] Reprenant les idées de Weber dans Economie et Société, Gellner présente le nationalisme comme un phénomène de légitimation politique, comme un mouvement résultant de l'institutionnalisation croissante de l'Etat. Ainsi, selon lui, le problème du nationalisme ne se pose pas quand il n'y a pas d'Etat puisque l'Etat est le seul organisme en charge de garantir la production d'une culture, fruit d'une formation de type généralisé et universellement standardisé. Dès lors, le doctorat d'Etat est l'instrument principal et le symbole essentiel du pouvoir étatique dans la mesure où il représente l'emprise suprême de l'Etat sur les esprits. [...]
[...] La juxtaposition de ces trois sphères au 19ème siècle rend alors consensuelle les concepts de nation et d'appartenance nationale qui puisent leur essence dans les révoltions françaises et américaines ayant permis d'établir le lien théorique implicite entre un Peuple, son Etat et la Nation. D'autre part, sur le plan économique, les libéraux du dix-neuvième siècle, se voient contraints de penser l'économie-monde comme la somme d'économies nationales, car elles obéissent à des politiques spécifiques. Ainsi selon Hobsbawm l'importance des économies nationales donne lieu à un consensus libéral, sur les conditions économiques de la viabilité d'un Etat. [...]
[...] Du processus de construction historique du nationalisme au recouvrement de l'Etat et de la Nation A. Du schéma explicatif globalisant de Gellner Bien qu'elle puisse susciter la critique ou même le rejet, il est impossible aujourd'hui d'ignorer la théorie gellnerienne du nationalisme qui figure parmi les plus innovantes et les plus brillantes de ce siècle. Influencé par Max Weber, Ernest Gellner apporte aux tenants de la thèse moderniste de la nation une dimension d'une ampleur décisive. Il incarne désormais le moderniste se situant le plus aux antipodes de la vision primordialiste des auteurs comme Edward Shils, Clifford Geertz et Anthony Smith. [...]
[...] L'environnement international actuel ne semble pas en effet être en adéquation avec ces hypothèses. Il nous semble alors primordial de souligner les limites des approches respectives de Gellner et de Hobsbawm en les confrontant à la réalité complexe des nationalismes du 20ème siècle issus d'un ensemble de conjonctures très particulières. B ne recouvre pas la réalité complexe des divers nationalismes actuels Si l'étude du nationalisme et de la nation comme étant liés à l'Etat- Nation moderne a le mérite de projeter ces concepts dans la modernité et de saisir leur élaboration au cours de processus historiques, il nous faut noter que cette approche présente néanmoins quelques limites. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture