Comment définir la nation ? Les mutations majeures qu'a connues le sens donné à ce terme, dont l'étymologie elle-même suppose une idée d'avènement – natio renvoyant au latin nascor, naître – expriment le caractère évolutif de la conception de nation elle-même.
Utilisé dès le Moyen-âge, ce terme désigne d'abord abstraitement un peuple, un « groupe » uni par une naissance commune. Au cours du 17e siècle, cette terminologie évolue ; pour désigner le sentiment d'appartenance à une communauté, liée par l'allégeance partagée à un souverain. Puis les dispositions prises par les révolutionnaires français complètent cette définition devenue politique, faisant de la nation l'idéal de l'expression du peuple. A la suite de cette mutation, c'est le nationalisme qui se développe, tout au long du 19e siècle (défini par les historiens comme le siècle des nationalités) pour défendre collectivement les idéaux ainsi établis. En cela, qu'il cherche à regrouper une même population éclatée sous divers pouvoirs (nationalisme italien ou allemand) ou à exiger l'indépendance face à des puissances tutélaires extérieures (nationalisme belge ou polonais), cet intense mouvement nationalitaire est perçu historiquement comme l'élaboration de l'acte de naissance des nations modernes. Mais en constitue-t-il l'origine, ou l'achèvement ? Et a-t-il permis l'établissement définitif des nations qu'il a défendues ? En d'autres termes, est-il possible d'établir un schéma de gestation des nations modernes ?
[...] Dans cette évolution de la nation vers son achèvement politique, la politisation du culturel (selon l'expression d'Ernest Gellner) est une étape essentielle. Elle s'exprime dans la volonté de faire coïncider les unités politiques avec les unités culturelles : les individus demandent à s'unir politiquement avec ceux dont ils partagent la culture, et à se placer sous l'autorité d'un Etat assurant sur son territoire la défense de la culture qui coïncide avec son pouvoir. Ce pouvoir, pour la pérennité de sa légitimité nationale, doit enfin s'incarner dans l'action de gouvernants dont la communauté nationale estime qu'ils lui ressemblent. [...]
[...] En cela, les questions de la renaissance des nations (yougoslave, belge, ou même galloise, basque et andalouse) constituent les prolongements contemporains de cette réflexion, et c'est aussi le cas de la difficile construction européenne. Au vu des critères que nous avons évoqué, la nation européenne n'est en effet pas encore née : il manque aux institutions établies un souffle populaire, la reconnaissance d'une destinée commune. Car pour l'instant, comme s'interroge ironiquement Benedict Anderson, Qui voudrait mourir pour la Communauté économique européenne ? [...]
[...] En cela, les nations naîtraient de la fusion de la culture, de la volonté collective, et de la société publique. II-A) Comme nous l'avons évoqué, la Révolution française marque un tournant majeur dans l'histoire politique des nations. Elle exprime en effet la concomitance entre la victoire politique des aspirations nationales incarnées par le Tiers-Etat (et exprimées par des milliers de pamphlets reprenant le mot Nation entre 1788 et 1789) ; et le passage d'une souveraineté verticale (monarchie de droit divin) à une souveraineté horizontale (synthétisée par cet article de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation L'alliance de ces deux principes fonde la caractérisation moderne de la nation politique, exposée notamment par Sieyès dans Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? [...]
[...] Entre le début et la fin du 19e, un travail de justification de l'existence des nations s'est donc opéré : comme dans une démarche archéologique, il s'agit pour chaque communauté nationale de rechercher et de faire admettre les fondements de son existence pour démontrer son existence autonome, son originalité et son antériorité sur d'autres nations. A cette fin, l'établissement de mythes fondateurs est un outil central. Ils peuvent faire référence à un évènement réel ou imaginaire (arrivée des pèlerins du Mayflower, prise de la Bastille) ; ou à un personnage fondateur (Charlemagne, Guillaume Tell). Dans tous les cas, ils sont destinés à créer une identité. [...]
[...] A la suite de cette mutation, c'est le nationalisme qui se développe, tout au long du 19e siècle (défini par les historiens comme le siècle des nationalités) pour défendre collectivement les idéaux ainsi établis. En cela, qu'il cherche à regrouper une même population éclatée sous divers pouvoirs (nationalisme italien ou allemand) ou à exiger l'indépendance face à des puissances tutélaires extérieures (nationalisme belge ou polonais), cet intense mouvement nationalitaire est perçu historiquement comme l'élaboration de l'acte de naissance des nations modernes. Mais en constitue-t-il l'origine, ou l'achèvement ? Et a-t-il permis l'établissement définitif des nations qu'il a défendues ? [...]
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