« Nous aurons ces grands Etats-Unis d'Europe, qui couronneront le vieux monde comme les Etats-Unis d'Amérique couronnent le nouveau. » (Extrait de Actes et paroles). Lorsque Victor Hugo écrivit ces lignes, il se tournait vers l'avenir. Mais avant d'appréhender de la sorte celui de l'Europe, il fallut passer par une transformation longue et complexe, qui prit sa source dans les cités grecques. En effet elle fut longtemps considérée comme le cadre de référence dans lequel pouvait s'épanouir la politique. Cependant la cité connut un accroissement marqué de sa démographie, dû notamment aux multiples conquêtes territoriales, de même qu'à l'amélioration des conditions de vie. Ainsi, s'agrandissant et se transformant, elle attînt progressivement la forme qu'on lui concède aujourd'hui : l'ETAT.
Le terme en lui-même est né en Europe au XIIIème siècle, la signification que l'on en a aujourd'hui se fera deux siècles plus tard, signification cependant bien trop vague. Le droit constitutionnel donne une définition matérielle de l'Etat en apparence assez simple : une population vivant dans un territoire géographiquement délimité et pourvu d'une autorité pouvant édicter et faire respecter des normes sur ce même territoire. Il résulte de cette acception un enjeu intellectuel tendant à approfondir la notion d'Etat, à partir de l'analyse de certains domaines déterminants. Dans le chapitre II de son ouvrage Sociologie Politique , Jacques Lagroye s'attache à l'historique de la formation de l'Etat en Europe Occidentale moderne. Il témoigne justement dans son œuvre de l'obstacle que constitue la description trop floue de l'Etat et souligne la nécessité d'y pallier afin de pouvoir le comparer aux autres organisations de l'époque moderne, et de prouver qu'il s'est imposé progressivement. Ce faisant il expose les caractéristiques qu'ont en commun les différents pays dans lesquels se développent les formes étatiques modernes. Jacques Lagroye choisit volontairement un champ d'analyse plutôt restreint, tant les formes d'organisation politique en Europe occidentale sont nombreuses.
Historiquement l'on attribue souvent l‘origine même du concept d'Etat à Jean Bodin, qui dès le XVIème siècle définit pour la première fois la notion de « souveraineté ». Pour lui l'Etat ne peut exister sans souverain, et pour que le pouvoir de ce dernier soit légitimé, il doit être fort, indivisible et respecté par l'ensemble de la population. De nombreux auteurs exposeront d'ailleurs dans leurs œuvres les différents « contrats » pouvant être établis entre le souverain et son peuple. Bien que Lagroye ne fasse pas dans ce chapitre référence à Bodin, il n'en évoque pas moins d'autres grands penseurs ayant travaillé sur le sujet afin de trouver parmi toutes leurs versions les caractéristiques permettant d'établir une définition de l'Etat, certes encore imparfaite, mais passablement améliorée.
L'auteur explique la formation de l'Etat européen en niant dès son introduction, toute définition bornant ce type d'organisation au seul gouvernement cœrcitif. Son raisonnement débute ainsi avec la féodalité pour ensuite, au travers des domaines politiques, économiques ou religieux, et selon un axe historique, dégager une définition rationnelle de l'Etat occidental moderne. Nous tenterons dans notre sujet d'en exposer les éléments les plus pertinents selon Jacques Lagroye, afin de démontrer comment ce dernier parvient à dégager des multiples formes d'organisations qu'il concède à l'Etat, une homogénéité lui permettant d'établir un modèle étatique de référence.
Nous montrerons que les évolutions variées des espaces européens aboutissant à une organisation Etatique (I), invitent à dresser une liste des caractéristiques propres à l'Etat, pour l'élaboration d'une définition globale servant de référence (II).
[...] Car l'émergence des Etats modernes issus de ce système féodal ne s'est pas faite au même rythme, ni de la même façon. Jacques Lagroye met en avant Norbert Elias afin d'apporter sur le phénomène un avis similaire au sien. Pour N. Elias, les grands royaumes (ainsi nomme-t-il ce que l'on préfère appeler Etat) se sont constitués avec la brutale concurrence entre les seigneurs. Chacun étant désireux de s'étendre aux dépens de son voisin, des pays passablement morcelés ont eu tendance à s'unifier par la réduction du nombre de domaines, les grands seigneurs absorbant les plus faibles. [...]
[...] Les Rois n'ont pas eu comme en France à lutter avec autant d'acharnement contre les seigneurs locaux (barons), ceux-ci ayant plus aisément reconnu l'autorité de souverains qui surent les unifier dans les guerres outre-Manche, notamment contre les Capétiens. De plus, les particularismes régionaux sont moins accusés que sur le continent ( ) et l'union des chefs temporels autour du Roi est périodiquement renforcée par un conflit durable avec la riche Eglise d'Angleterre écrit encore Jacques Lagroye. Conflit entre la couronne et l'Eglise impensable dans la France médiévale, le pouvoir de l'une étant liée à celui de l'autre, et inversement. Autre facteur déterminant la constitution si variable des Etats européens, leur étendue géographique, leur ordre de grandeur. [...]
[...] Le politique apparaît donc comme un élément clé de la formation de l'Etat. Ce domaine doit rester autonome afin de profiter à tous : ni la culture, ni la religion, ou bien encore l'économie ne doivent influencer les décisions politiques. Dans le cas inverse, l'Etat risquerait de gouverner en mettant en avant les intérêts d'une classe plus qu'une autre, ce qui fragiliserait la cohésion sociale et le sentiment de citoyenneté politique. En revanche, si le politique est autonome, c'est lui qui a mis au point des instances gouvernementales donc il pèse sur tous les domaines. [...]
[...] Or, et tous les auteurs avancés par Lagroye s'entendent sur ce point, l'indépendance du politique tient une part déterminante dans la formation de l'Etat moderne en Europe. Dissociation d'avec le religieux dans un premier temps, mais également de toutes les autres sphères régissant la vie collective. Le politique est représenté par le souverain, qui exerce une domination sur les individus. Cette domination pour Weber a de caractéristique que le souverain détient le monopole de la contrainte physique, mais de manière légitime, en raison du contrat. [...]
[...] Dans le cas anglais, c'est donc bien l'organisation économique qui induit l'organisation politique. Enfin, Jacques Lagroye, toujours soucieux de démontrer l'hétérogénéité du processus d'étatisation en Europe, aborde le dernier domaine dans lequel elle transparait le mieux, à savoir la religion. L'Europe occidentale est touchée dès le XVIe siècle par un grand mouvement de réforme de L'Eglise, qui fait éclater le peu d'unité chrétienne qui pouvait encore unir les grands Etats. Stein Rokkan, sociologue norvégien du XXe siècle, nous révèle que le sentiment d'identité nationale ne peut s'étendre qu'à bonne distance de Rome et des prétentions papales, tel fut le cas dans les Provinces-Unies, en Prusse ou en Angleterre, soit des pays durablement touchés par la réforme protestante. [...]
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