Face à la prétendue « crise » de notre modèle républicain français, un certain nombre d'analystes et d'hommes politiques ont pensé pouvoir trouver la solution dans le multiculturalisme américain. Des projets de « discrimination positive » ont ainsi vu le jour en France et un débat a été inauguré sur les droits collectifs à l'occasion de la ratification avortée de la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires. Si des pistes peuvent être imaginées en fonction de l'expérience américaine, on ne saurait pour autant plaquer sur la société française un tel modèle, et encore moins se passer d'une réflexion critique sur le multiculturalisme tel qu'il est pratiqué aux Etats-Unis.
Avant de prétendre à la qualité de modèle, le multiculturalisme américain est d'abord un état de fait, à savoir la diversité croissante de la population américaine composée d'Amérindiens, de descendants d'esclaves africains et des vagues d'immigration successives (anglo-saxonnes, de manière plus générale européennes, puis sud-américaines et asiatiques). Ce n'est que dans un second temps que le multiculturalisme a été érigé en politique. Peu à peu, il est en effet apparu que le modèle anglo-saxon dominant ne parvenait plus à assimiler ces populations et qu'il fallait lui substituer une nouvelle forme d'organisation de la société basée sur la reconnaissance du pluralisme et de l'irréductibilité des modèles de comportement.
Mais si le multiculturalisme américain se distingue par un constat lucide et réaliste de l'échec du modèle assimilationniste aux Etats-Unis, la promotion d'un modèle multiculturaliste au sein de la nation américaine pose de lourdes difficultés. Comment en effet « faire société » dès lors que l'on reconnaît l'irréductibilité des identités au sein d'un pays? Le propre d'une nation n'est-il pas de rassembler les individus pour leur conférer une seule identité ? Ou tout au moins une identité homogène ? Autrement dit, le modèle multiculturaliste, en consacrant le pluralisme, n'est-il pas une menace pour le contrat social américain ?
[...] Le multiculturalisme, tout du moins dans sa version modérée, contient les risques de dérapage et la surenchère ethnique. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'arrêt Bakke de 1978[2]. Il établit clairement que, concernant les politiques préférentielles au sein des université, la race ne peut être retenue comme élément favorable pour l'admission à l'université qu'à la condition d'être considérée comme un élément parmi d'autres, au même titre que l'origine géographique ou les talents individuels (dons artistiques, qualités sportives, capacités de leadership). [...]
[...] Autrement dit, bien souvent l'affirmative action se borne à aider les moins démunis, ceux qui avaient les moyens de s'en sortir. Selon Denis Lacorne[5], les politiques multiculturelles se contenteraient au final d'apaiser la conscience des populations privilégiées à peu de frais : il est plus facile de donner la préférence à quelques milliers de Noirs plutôt que d'investir massivement dans les ghettos pour y créer des emplois et rénover les écoles. Les politiques de préférence sociale apparaissent ainsi paradoxalement conservatrices. [...]
[...] Le multiculturalisme : atout ou fragilité du modèle américain ? Face à la prétendue crise de notre modèle républicain français, un certain nombre d'analystes et d'hommes politiques ont pensé pouvoir trouver la solution dans le multiculturalisme américain. Des projets de discrimination positive ont ainsi vu le jour en France et un débat a été inauguré sur les droits collectifs à l'occasion de la ratification avortée de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Si des pistes peuvent être imaginées en fonction de l'expérience américaine, on ne saurait pour autant plaquer sur la société française un tel modèle, et encore moins se passer d'une réflexion critique sur le multiculturalisme tel qu'il est pratiqué aux Etats-Unis. [...]
[...] Le succès rencontré par le multiculturalisme s'explique par la particularité du modèle américain que D. Lacorne[3] appelle la double allégeance : allégeance aux principes républicains d'une part et allégeance aux valeurs de son groupe d'appartenance d'autre part. Les Etats- Unis sont ainsi une nation ethno-civique, capable de mêler des considérations raciales à des valeurs authentiquement républicaines portées par le symbole du drapeau, le symbole de la citoyenneté, le culte de la Constitution et de ses amendements, etc. Toutefois, le multiculturalisme américain reste un modèle aux contours flous, notamment car il n'est pas parvenu à réaliser une synthèse entre la reconnaissance culturelle d'une part et le traitement des inégalités socio-économiques d'autre part. [...]
[...] Le but étant dès lors celui d'un multiculturalisme maîtrisé et républicanisé. Le multiculturalisme, partant du constat d'une société américaine de plus en plus diversifiée, rompt à juste titre avec les traditionnelles politiques d'assimilation aux Etats-Unis. Si les succès du multiculturalisme sont indéniables, sa mise en œuvre est toutefois décriée, y compris par les minorités concernées. La raison semble en être que le pluralisme n'est conciliable avec la nation que s'il existe dans de justes proportions. Le multiculturalisme, pour être viable et faire société devra ainsi paradoxalement passer par une politique de normalisation des différences sociales et culturelles. [...]
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