La présidence de Louis Napoléon Bonaparte dès le début de la seconde moitié du XIXè marque indéniablement un tournant important dans la façon d'appréhender la fonction de Chef de l'Etat. Elu pour la première fois en France au suffrage universel masculin, par la volonté des Constituants de 1848 qui voulaient mettre en place une Présidence de la République plus personnelle, il innove tant dans la façon de mettre en scène son pouvoir que par la conception qu'il en a : il semble par exemple engager ainsi à chaque plébiscite sa responsabilité de Chef d'Etat. Durant le même laps de temps, le mouvement des nationalités partout en Europe favorise l'émergence de nouvelles figures de Chef dont on pourrait supposer qu'ils soient plus libéraux, plus démocratiques… peut-être plus modernes ? Enfin c'est également durant les premières années de cette « fin du XIXè » qu'apparaît la Première Révolution industrielle. Or c'est uniquement grâce à certaines innovations économiques (apparition et développement du chemin de fer, du télégraphe…) et sociales (libéralisation, ouverture des mœurs) que l'image de la modernité du pouvoir et sa diffusion a pu être effective. Les voyages des Chefs d'Etat ou l'apparition d'images du Chef n'auraient pas été possibles, ou tout du moins n'aurait pas eu cet impact national voire international, si des moyens techniques n'avaient pas servi de relais. Le début de la Grande Guerre en 1914 marque le départ d'une société totalement nouvelle, avec des codes et des urgences politiques qui n'ont plus rien à voir avec celles de la fin du XIXème, ce qui explique que cette année soit prise comme la fin des bornes d'étude de notre sujet.
Le sujet impose de se centrer sur la figure du Chef d'Etat pour lui-même et non pas sur l'exécutif en général ou la modernisation de l'Etat. Cela suppose alors d'examiner la façon dont les chefs d'Etat envisagent l'exercice de leur pouvoir, la façon dont ils l'exercent dans les faits, les instruments nouveaux qu'ils utilisent pour mettre en scène ce pouvoir et leur fonction, leurs relations avec le chef du gouvernement, avec le peuple ou avec la presse. Or les bornes géographiques du sujet (Europe - Etats Unis) couvrent une réalité spatiale très diverse qui implique des façons diverses d'être un Chef d'Etat et de s'affirmer en tant que tel selon, d'une part le continent où l'on se trouve et, d'autre part, selon les traditions du pays auquel on appartient et ses évolutions internes. Ainsi si être Président d'une République c'est déjà en soi une modernité peut-on dire pour autant que les monarques, les Empereurs ou les Tsars restent enfermés dans une sorte d'archaïsme, renvoyant sans cesse une image d'autoritarisme et de fermeté ? Il est alors nécessaire d'analyser ce que ces différents Chefs d'Etat ont de commun dans leur façon d'appréhender le pouvoir mais également voir si les régimes, les sociétés, les pays dans lesquels ils « règnent » n'influencent pas leur rôle et donc n'orientent leur modernité. Faut-il différencier les monarques des présidents de la république ?
Enfin il importe dans ce sujet de se demander si la modernité des Chefs d'Etat est toujours désirée, voulue, revendiquée ? Ne peut-elle pas être dans certaines situations limitée ou imposée? Ainsi, au delà de ces nuances, la fin du XIXè et ses nombreux changements nous amènent à nous demander quelle est la modernité réelle des chefs d'Etat à cette époque.
Nous verrons que si les Chefs d'Etats européens et américains sont modernes par la pratique qu'ils ont et qu'ils font du pouvoir (I), leur modernité passe également par l'image d'eux même et de leur fonction qu'ils transmettent au peuple, relayée par la presse et qui conduit à une forme de désacralisation du pouvoir (II).
[...] Si les modes de vie ou les mœurs des Chefs d'Etats de la fin du XIXème siècle ne sont pas nécessairement modernes en soi, la façon dont ils sont utilisés et rendus publiques est elle moderne. Les modes de vie des Chefs d'Etat ne sont ainsi pas spécialement modernes, soit parce qu'ils ne diffèrent pas radicalement des mœurs que les Chefs d'Etat précédents avaient pu avoir, soit parce qu'ils sont trop anecdotiques pour prendre part dans un réel processus de modernisation de la fonction de Chef d'Etat. [...]
[...] Les relations les plus modernes qui naissent cependant de la nouvelle façon d'exercer le pouvoir, quelle qu'elle soit, sont celles que le Chef de l'Etat entretient avec le Chef de gouvernement. On voit apparaître des exécutifs bicéphales dont les couples s'harmonisent plus ou moins bien car les chefs de gouvernement ont tendance à supplanter les chefs d'Etat. Ainsi Bismarck finit par être congédié par Guillaume II alors qu'il avait pratiquement occulté la présidence de Guillaume Ier lors de l'unification de l'Allemagne. [...]
[...] Mais le XIXè siècle n'a pas su imposer et généralisé la figure du Chef d'Etat démocratique, figure que l'on ne retrouve qu'aux Etats Unis et en France (sous la IIIème République évidemment mais également en partie sous le règne de Napoléon III caractérisé par son fameux césarisme démocratique Enfin, et on pourrait là parler du stade le moins avancé de la modernité politique du Chef d'Etat, certains monarques, notamment ceux de l'Europe centrale dont la Russie d'Alexandre III ou l'Autriche Hongrie, semblent essayer à tous prix de sauvegarder leurs traditions, leurs pouvoirs, leurs anciens fonctionnements et n'acceptent que par contrainte et par résignation leurs nouveaux rôles de monarques constitutionnels. La modernité du Chef d'Etat ne peut ainsi par être étudiée uniformément. [...]
[...] A la fin du XIXè siècle, ces derniers s'engagent en effet de plus en plus souvent pour des causes qui leur tiennent à cœur et en dépit des conseils que le reste de la classe politique peut leur prodiguer. Ainsi si l'on considère que ces engagements peuvent être une tentation à l'attentat ces derniers deviennent alors une sorte de modernité provoquée par le Chef d'Etat lui même. Victoria, par exemple, se prend de passion pour les Terres d'Irlande. Durant la Grande Famine, elle va jusqu'à offrir 5000 de sa cassette personnelle et s'implique dans diverses organisations de lutte contre la famine. [...]
[...] La distinction monarques autoritaires versus chefs d'Etat républicains est-elle réellement pertinente pour déterminer et analyser une façon moderne d'exercer le pouvoir à la fin du XIXè siècle ? Durant cette période, il existe en effet deux grandes tendances de l'exercice du pouvoir qui laissent chacune transparaître des conceptions modernes du rôle du chef de l'exécutif. D'un côté ceux qui affirment leur pouvoir et n'entendent pas être des Chefs d'Etats potiches et de l'autre ceux qui se laissent, plus ou moins volontairement, leur pouvoir s'effacer au profit souvent du chef du gouvernement. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture