La nomination dans le second gouvernement Raffarin de cinq ministres issus de la société civile, à savoir Luc Ferry à la jeunesse et à l'éducation nationale, Francis Mer à l'économie et aux finances, Claudie Haigneré à la recherche, Hamlaoui Mekachera aux anciens combattants et Noëlle Lenoir aux affaires européennes, doit permettre, selon l'expression du premier ministre, de « sortir de situations et des rapports de force traditionnels » et de « mettre le gouvernement en situation d'être ouvert ». Bien que connu pour son attachement à une certaine professionnalisation de la fonction ministérielle, le président Chirac s'est quant à lui clairement prononcé en faveur de l'entrée au gouvernement de ces ministres que la presse qualifie fréquemment d' « atypiques ». La place réservée à ces non-politiques, destinés à surmonter la défiance dont se prévaut parfois l'opinion publique à propos des formes gouvernementales et législatives, est cependant peut être signe que quelque chose a changé...
L'apparition de telles figures, propres à la Cinquième République, semble en tous les cas poser le délicat problème de la représentation politique au sein des gouvernements, et du conflit possible entre légitimité démocratique et efficacité technique, popularité et spécialisation, leader et expert, suscitant par là une double question : d'une part, ce phénomène doit-il être lu comme le produit direct des particularités institutionnelles de notre régime, ou comme un simple palliatif à une crise de la représentation récente? D'autre part, quel bilan tirer de cette expérience inédite ? Effet d'annonce ou définition d'un nouveau rapport au politique ?...
[...] Durant les premières années de la cinquième République, l'équation personnelle du Général De Gaulle confère à ses ministres la légitimité qui leur est nécessaire. A la suite de la révision, l'élection du président joue un rôle comparable et justifie que tel ou tel membre du gouvernement puisse se dispenser de la confrontation avec les électeurs. Telle est bien d'ailleurs la signification de l'idée du général De Gaulle selon laquelle le chef de l'Etat est la source et le détenteur du pouvoir et que toutes les autorités, y compris ministérielles, procèdent de lui. [...]
[...] André Malraux a occupé pendant plus de dix ans les bureaux de la rue de Valois. Lui ont succédé l'académicien français Maurice Druon, puis Michel Guy, directeur du Festival d'Automne à Paris, Françoise Giroud, journaliste et écrivain, et Jack Lang, ancien directeur du théâtre universitaire de Nancy et du théâtre du palais de Chaillot : tous étaient des proches ou des intimes des présidents qui les ont appelés. Il faut certes reconnaître une certaine évolution de ce rapport d'un président à l'autre en fonction des sensibilités : à la méfiance de Pompidou pour la figure du technicien de gouvernement succède la volonté giscardienne de déléguer les portefeuilles les plus importants à des personnalités ne pouvant se prévaloir ni d'un mandat local ni d'un mandat national. [...]
[...] Même Pierre Bérégovoy, pourtant depuis longtemps apparenté à un parti (il adhère à la SFIO dès la Libération) et largement populaire au sein de la classe politique, essuie deux échecs successifs avant d'être élu député de la Nièvre en 1986 et maire de Nevers en 1988 : le sas électoral semble relativement étroit pour les ministres de la société civile en quête d'une légitimité démocratique. Sans doute la brièveté fréquente des carrières électorales s'explique la prééminence chez ces ministres de difficultés importantes quant à la gestion des affaires publiques. Difficultés liées, d'une part, à une inadaptation au monde politique qui découle de l'apolitisme dont ce personnel gouvernemental se prévaut : le problème de l'efficacité de la société civile au gouvernement se trouve ici posé. [...]
[...] Je soutiendrais volontiers qu'exiger des dirigeants du pays qu'ils sortent de l'ENA ou de Polytechnique est une attitude réactionnaire. La république doit être celle des politiques au sens vrai du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l'emportent sur les autres, ceux qui non de ces problèmes une connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d'une analyse abstraite, ou pseudo scientifique de l'Homme. De la volonté de diversification du personnel politique exprimée par le président Pompidou en 1968, ainsi que des caractères spécifiques relatifs à la nomination de ministres sous la cinquième République, est née une nouvelle forme de personnel gouvernemental, qui se devait de concilier qualification technique et lien direct avec la société civile. [...]
[...] Ce jugement est-il vraiment resté valable aux différentes périodes de la Vème République ? A l'évidence non. Le déclin marqué du personnel professionnalisé et l'affaiblissement spectaculaire du cursus classique apparu sous la IIIème et maintenu sous la IVème constituent des volets marquants de l'évolution du personnel gouvernemental sous la Vème, qui peuvent annoncent l'apparition de nouveaux profils sans doute recherchés pour leurs qualités intrinsèques, au sein des gouvernements. Une étude de Jean Cabannes quant à la composition des gouvernements de la cinquième République révèle ainsi une double tendance : d'abord, la raréfaction du vieux cursus honorum qui voulait que le ministre, ancien notable local, soit préalablement passé par tous les stades de l'élection : un tel parcours ne représente plus, au cours du dernier quart de siècle, qu'une forte minorité de l'ordre de 30% au sein du personnel ministériel. [...]
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