Michel Offerlé est agrégé et maitre de conférences à l'IEP de Paris, il est également professeur de sciences politique à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne depuis 1989. Membre du Conseil d'administration de l'Association Française de Science politique et co-directeur de la collection Socio-histoire aux éditions Belin, on lui doit de nombreux ouvrages, contributions et articles de revues allant de la sociologie politique à la socio-histoire des politiques publiques et des mouvements sociaux (les partis politiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, Un homme , une voix ? Histoire du suffrage universel, Paris, Gallimard 1993, Sociologie des groupes d'intérêt, Paris, Montchrestien, 1994). Illégitimité et légitimation du personnel politique ouvrier en France avant 1914 qui constitue ici le cœur de notre étude est un article paru dans les Annales ESC en 1984 . L'auteur propose une analyse du champ politique en France de la seconde moitié du 19ème siècle jusqu'au début du premier conflit mondial. Son étude porte essentiellement sur la question de la légitimité du personnel politique d'origine ouvrière dans le champ politique. Son étude procède d'une rupture méthodologique avec les travaux historiques et sociologiques portant sur la question. En travaillant sur les discours et professions de foi du politique sur les colonnes de la presse et les biographies des hommes politiques de l'époque, Offerlé est parvenu a mettre en exergue les pratiques discursives légitimantes ou non de l'accès à la sphère politique. En répertoriant et en classant les digressions adjectivales propres à légitimer ou à proscrire dans le discours l'accès des agents sociaux au champ politique, l'auteur se propose d'étudier le personnel politique selon sa trajectoire sociale qui dote symboliquement l'individu de certains attributs propres à répondre ou non aux exigences de l'activité politique. Le champ politique est ainsi étudié selon les critères propres à chaque secteur de l'espace social décrits par Bourdieu. Doté de logiques sociales spécifiques tendanciellement autoréférentielles, le champ politique tout comme les autres secteurs de l'espace social est une configuration de relations objectives entre des positions définies objectivement par l'inégale distribution de capitaux spécifiques.
Bourdieu dans les Méditations pascaliennes nous dit : « le capital sous ses différentes espèces est un ensemble de droits de préemption sur le futur ; il garantit à certains le monopole de certains possibles pourtant officiellement garantis à tous » Ce raisonnement, à l'œuvre dans champ politique français, détermine les relations de domination et fixe les conditions même de leur reproduction. Ainsi, au cours du 19ème siècle, alors que s'instaure en 1848 le suffrage universel censé renforcer la démocratie et étendre l'accès à la parole politique au plus grand nombre, les logiques sociales internes au champ politique restreignent l'accès à l'activité politique pour le personnel issu des classes populaires en leur daignant toute légitimité. Michel Offerlé dresse un premier constat : la sous représentativité massive des classes populaires par des agents politiques issus des mêmes classes sociales. Les mécanismes traditionnels d'accès à la parole politique et les capitaux ordinairement mobilisés pour prétendre aux fonctions représentatives sont monopolisés par l'élite sociale. Le personnel politique ouvrier parviendra néanmoins à faire valoir ses droits et sa légitimité sur la scène politique française. Ainsi, en reprenant de façon linéaire l'analyse de Michel Offerlé nous porterons dans un premier temps notre étude sur l'illégitimité politique que subit le personnel issu des classes populaires ; pour dans un second temps s'attacher à comprendre comment un personnel ouvrier, socialement et culturellement démuni a t-il pu revendiquer son droit à la parole politique, son droit d'éligibilité ? Autrement dit, par quels processus, quels mécanismes le personnel politique ouvrier est-il parvenu à se légitimer au sein du champ politique et dans quelles limites pouvons nous analyser cette légitimation.
[...] Pourvues en capitaux spécifiques et traditionnellement légitimes, les élites politiques assoient ainsi leur légitimité selon différentes stratégies que l'auteur met à jour en puisant dans les professions de foi de ces hommes, dans leurs biographies et dans les coupures de presse de l'époque. C'est en s'appuyant sur les revendications de légitimité des dominants que Michel Offerlé parvient ensuite à saisir ce qui fonde l'illégitimité puis les mécanismes de légitimation des groupes dominés. - Les élites traditionnelles revendiquent d'abord une sincère concorde avec l'électorat : vous me connaissez : une longue profession de foi est inutile vos idées qui sont les miennes etc. [...]
[...] Cette attitude revendiquée confine le personnel politique ouvrier à une quasi auto-exclusion du champ politique puisqu'il en refuse les règles d'entrée. Ce mode de légitimité doit être néanmoins compris nous dit Michel Offerlé davantage comme une nécessité que comme un choix politique revendiqué de la part des agents politiques issus des classes populaires. Il s'agit effectivement d'un instrument de légitimation dans la seule mesure où le personnel politique ouvrier ne possède d'autres ressources mobilisables hormis sa propre illégitimité pour accéder au champ politique. [...]
[...] S'il apparait comme un secteur relativement fermé et tendanciellement auto- référentiel de l'espace social il subit néanmoins les variations de la conjoncture qui sont à même de le faire évoluer structurellement. En mêlant étroitement historicisme de la classe ouvrière et analyse sociologique, par l'utilisation de sources novatrices et originales, Offerlé est parvenu à mettre en évidence la tendancielle évolution que subit le champ politique. En même temps que la légitimation du personnel politique ouvrier s'accroit, les grandes polémiques de la presse cessent progressivement, les attributs et capitaux ordinairement légitimes subissent une évolution corrélative de celle que subit la finalité spécifique du champ. [...]
[...] Quoi qu'il fasse donc, Joffrin est déplacé, déclassé : l'activité politique aux yeux de l'élite traditionnelle conservatrice ne doit en aucun cas faire l'objet d'une carrière ou d'un métier. En mêlant ainsi controverse politique et discrédit social, la droite conservatrice s'emploie à déconsidérer le personnel politique ouvrier. Tous les hommes ne sont donc pas égaux pour l'accès à la sphère politique. La compétition des agents pour accéder au champ politique aboutit à une forme de sélection sociale en faveur de ceux qui se trouvent être le plus haut placés dans la hiérarchie. [...]
[...] Enfin, malgré les évolutions du jeu interne que peut subir un secteur, l'étude menée par Michel Offerlé tend à prouver que la structure générale du champ en tant qu'espace de lutte entre des agents occupants des positions de dominants et d'autres des positions dominées reste intacte et insensible aux évolutions. Il semble dès lors qu'elle soit une condition même de l'existence et de la survie des différents secteurs de l'espace social. Illégitimité et légitimation du personnel politique ouvrier en France avant 1914, Annales. Histoire, Sciences Sociales, Année 1984, Volume 39, Numéro 4 p - 716 Op. cit. [...]
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